Fidèle à sa tradition de curiosité, la Compagnie de l’Oiseleur nous amène à redécouvrir un autre compositeur français bien oublié en la personne de Louis-Albert Bourgault-Ducoudray. Né à Nantes en 1840, Bourgault-Ducoudray compose son premier opéra à 18 ans, L’Atelier de Prague et intègre en 1859, la classe de composition d’Ambroise Thomas. En 1862, il remporte le Grand Prix de Rome à la barbe de Jules Massenet (autre élève de Thomas). Son séjour à la Villa Médicis lui ouvre de nouveaux horizons. Il sera compositeur et chef d’orchestre, mais aussi pédagogue et s’attachera à faire connaitre des musiques inconnues ou oubliées de ses compatriotes. En 1868, il fonde un chœur amateur qui se consacre à Palestrina (qu’il a découvert en Italie) et à d’autres compositeurs baroques ou de la renaissance, à l’époque tombés dans l’oubli. Il compose d’ailleurs un Stabat Mater en 1874, sous-titré Hymne pour Palestrina. lI devient professeur d’histoire de la musique au Conservatoire de Paris en 1878. L’hellénisme est une des préoccupations intellectuelles de l’époque : peut-on par exemple retrouver l’héritage musical de l’antiquité et faire le tri des ajouts de la période byzantine ? Missionné par son ministère de tutelle, il voyage ainsi en Grèce et en revient avec Trente mélodies populaires de Grèce & d’Orient, assorties d’un appareil de commentaires analytiques, chants qu’il a notamment relevés auprès de simples bergers. De même, il rapportera un recueil de trente mélodies populaires de Basse-Bretagne. Cette activité d’ethnomusicologue influence ses compositions, souvent teintées d’exotisme : Carnaval d’Athènes (1881), Danse malgache, Rapsodie cambodgienne (1882, dont certains avancent qu’elle aurait pu influencer les Estampes de Claude Debussy), Danse égyptienne, Chant laotien pour orchestre (1913), un opéra qui se passe à Bakou (Thamara, 1881), un autre en Bretagne (Myrdhin, 1905), des mélodies s’inspirant de folklores divers… Il meurt à Vernouillet en 1910, plutôt oublié, mais sa dépouille est toutefois rapatriée dans sa ville natale.
La Conjuration des fleurs narre la révolte de ces dernières, soumises à un génie qui fait bien mal son travail. On nous pardonnera de déflorer le sujet. Le matin s’est levé et, sous la rosée, les fleurs s’éveillent. Le Souci prêche la révolte : « Il n’est plus de saisons, les mois sont confondus, en hiver la chaleur, en plein été les bises (…) Délivrons-nous d’un tyran détesté. C’est trop longtemps végéter (sic) en esclaves (…) Un froid tardif nous tue après un faux printemps ». On ne saurait faire livret plus actuel (d’autant que Paris était ce soir-là soumis à une pluie diluvienne). Les fleurs sont décidées à se gouverner elles-mêmes : « À nous la vie avec la liberté ! » et organisent une assemblée pour élire une reine. La Fougère anime les débats. Le Laurier se présente aux suffrages : « Je suis de race noble, je descends des dieux ! ». Les fleurs sont partagées, admirant « sa vigueur et sa valeur », mais craignant d’élire un futur tyran. La modeste Marguerite est d’un caractère opposé et ne cherche même pas à concourir : elle récolte les railleries de ses consoeurs. La Pensée tient un discours plutôt sombre et austère, et divise elle aussi l’assemblée. Tandis que l’on vote, le Coquelicot et le Bleuet devisent : elles se considèrent déjà chacune comme reines des blés. Une troupe de fleurs bretonnes (nous y voilà…) fait son entrée avec à sa tête la Fleur de la Lande qui n’a jamais connu « l’air impur des cités » et qui vante sa « chère Bretagne ». Mais elle méprise les honneurs (la voilà non éligible !). Le suffrage ne permet pas de dégager de majorité, le Laurier et la Pensée ayant récolté le même nombre de voix. La Violette s’avance, non pour elle-même, mais pour proposer la Rose « car sa beauté soumet tous les coeurs ». Les fleurs se rallient à cette suggestion et elle est déclarée souveraine. Le Génie vient interrompre les exaltations : « Que vois-je ? On s’assemble ! On se révolte, on me menace ! On veut s’émanciper ! ». Il accuse le Souci d’avoir mené la sédition et le condamne à perdre son parfum pour une odeur repoussante, tandis qu’il pardonne aux autres fleurs. Il conclut « Vous voulez gouverner ! Ha ! Pauvres petites fleurs ! Laissez donc aux humains la fièvre et l’insomnie, des rêves de l’orgueil l’incurable folie ! Contentez-vous du lot que le ciel vous donna : allez plaire et charmer car c’est là votre rôle ». Les fleurs se rendorment.
Comme on le voit, l’intrigue est mince. Les mêmes vers sont repris de nombreuses fois, mais le livret fait preuve d’esprit. On notera que l’ouvrage est dédié à la Société Nantaise d’Horticulture à laquelle appartenait le père du compositeur !
La distribution assemble un bel éventail de chanteuses. Marion Gomar incarne le factieux Souci avec un beau sens théâtral. Le court rôle de la Fougère ne permet pas à Gabrielle Savelli de briller (elle aura toutefois eu l’occasion de mettre en valeur son beau contralto en première partie). Le Laurier de Clara Bellon est plein d’allant avec un aigu généreux. Véronique Housseau est une charmante Marguerite, finement musicale. Le timbre sombre d’Elena Rakova convient parfaitement à la ténébreuse Pensée. Aurélie Ligerot (que nous avions appréciée il y a peu dans La Tempête) et Mathilde Rossignol offrent un duo absolument délicieux et espiègle. Soanny Fay, qui chante le long air de la Lande bretonne, offre la meilleure diction féminine du plateau. On retrouve ces qualités de diction chez Jacques-François Loiseleur des Longchamps dans le court rôle du Génie qu’il défend avec musicalité et verve.
La partition étant brève (moins d’une heure), une première partie était consacrée à des mélodies du compositeur et à un extrait de son Stabat Mater. Au piano, l’impeccable Benjamin Laurent donne de précieux éléments de contexte sur chacune des pièces exécutées, relevant à l’occasion des influences schumaniennes ou berlioziennes. La sélection témoigne davantage de l’éclectisme du compositeur que d’un style immédiatement reconnaissable. C’est d’ailleurs peut-être ce qui explique l’anonymat dans lequel il est tombé : il s’agit plutôt d’une musique « savante », guidée par des préoccupations intellectuelles de l’époque, que de compositions flatteuses pour des oreilles plus profanes, d’une musique de salon offrant des mélodies plus immédiates. A l’instar de celles d’Alphonse Duvernoy ou de Rita Strohl, pour citer quelques redécouvertes récentes, elle ne mérite toutefois aucunement l’oubli dans lequel elle est tombée.