Pour clore sa saison et son festival d’été, le Festspielhaus de Baden-Baden a proposé un gala d’exception comme il en a le secret : brochette de stars réunies pour une version de concert de Don Giovanni, où malgré l’absence de mise en scène, le théâtre ne fait pas défaut !
En effet, les huit protagonistes de l’opéra de Mozart se font comédiens autant que chanteurs et insufflent à l’ensemble une énergie vitale que nombre de productions peuvent leur envier. Pour preuve, les récitatifs font mouche : le public rit souvent … Il faut dire que les interprètes incarnent leur personnage à merveille, jusque dans le vêtement, avec une mention particulière pour Zerlina et son décolleté dans le dos à la Mireille Darc, pour des sorties remarquées… La petite paysanne naïve se fait ici femme fatale, manipulatrice, ce qui éclaire tout autrement le rôle et nous change de la vision d’un Losey, par exemple. Quant à Leporello et Don Giovanni, ils rivalisent de charme et d’élégance dans leur tenue noire sobrement classe, chemise blanche ouverte sur un buste fier pour le serviteur, catogan et chaînette pour le beau rital ténébreux. Les rôles sont bien souvent interchangeables et le jeu de chacun se superpose intelligemment, en particulier pour Luca Pisaroni, inénarrable Leporello aux faux airs de Belmondo jeune jusque dans les mimiques et le dynamisme. Il faut le voir bouder, geindre ou séduire Elvira… On sent que son expérience avec Haneke lui a ouvert tout un champ de possibles pour mieux donner à sentir au public la complexité des rapports entre le serviteur et le maître.(cf. les 5 questions que Lucas Pisaroni nous a accordé) Le chant est d’emblée phénoménal. Son « Notte e giorno faticar » initial nous permet d’apprécier une autorité, alliant puissance et raffinement, souplesse et vélocité qui perdurera tout au long de la soirée. On attend avec impatience de le voir interpréter le rôle-titre.
Ildebrando D’Arcangelo est à côté de ce Leporello d’exception un Don Giovanni à peu près idéal. Il sait faire ressortir le côté dragueur du personnage. Arrogance, prestance et nonchalance sont quelques-unes des armes de ce charmeur en diable, armes physiques, certes mais avant tout vocales ! Quel chant exceptionnel, qu’on se plaît à comparer à ses mains, elles-mêmes très belles, quand, immenses, elles dessinent des gestes incroyablement précis et évocateurs.
Le Commandeur de Vitalij Kowaljow est une révélation qui donne sens à son « sento l’anima partir » et propose une mort sublime avant d’entraîner Don Giovanni dans l’au-delà. Konstantin Wolff s’avère moins exceptionnel en Masetto, mais sa prestation reste de très grande qualité. Quant à Rolando Villazón, il revient de si loin qu’on ne saurait lui reprocher quoi que ce soit dans une interprétation conforme à ses moyens vocaux du moment mais transcendée par un enthousiasme communicatif. Le public l’acclame plus que tous les autres et le ténor, heureux comme un enfant de tirer son épingle du jeu au sein de ce plateau de luxe, émeut aux larmes.
Du côté des femmes, on est tout autant à la fête. Joyce DiDonato est impériale en Elvira. Le timbre vif-argent, éclatante dans sa fureur et poignante dans sa douleur, elle recueille un triomphe qu’elle partage avec une Diana Damrau dopée par la qualité de l’ensemble. Chaque note de cette Donna Anna, aussi digne qu’elle peut être vindicative, paraît couler de source. Mojca Erdmann enfin, ravit en Zerlina. Sa voix est quelque peu étroite mais ne manque pas de beauté et de fraîcheur.
Dynamisé par une telle affiche, Yannick Nézet-Séguin conduit le Mahler Chamber Orchestra avec une passion et un enthousiasme jubilatoires. Même privé de son, on pourrait suivre l’opéra mot à mot car le jeune chef chante tous les rôles, soutient du geste chaque instrument ou ensemble et insuffle une vitalité à ce bel orchestre. Un enchantement. Ovation amplement méritée ! Par chance, le concert est enregistré : parution du CD prévue en avril 2012. Espérons que l’impression de miracle sera conservée par la gravure…