Avant de fermer pour deux ans et demi de travaux, l’Opéra-Théâtre de Metz achève sa saison* en apothéose avec la troisième reprise de inénarrable Frankenstein Junior crée en 2007 et repris en 2021 par le directeur, Paul-Émile Fourny.
Sa proposition n’a pas pris une ride. Elle joue de la référence au cinéma d’horreur d’avant-guerre comme au film éponyme de de Mel Brooks. Le livret lui est très fidèle, tout comme la scénographie qui mêle les décors réels d’Emmanuelle Favre avec des projections en noir et blanc sur deux cyclos aux élégants effets de transparence. Ces vidéos ne sont pas sans évoquer les photos de Brassaï utilisées dans le ballet Rendez-vous de Prévert et Roland Petit. Ainsi est habilement contourné l’écueil des lieux multiples où se déroule l’action tout en instillant une atmosphère délicieusement rétro accentuée par les beaux costumes de Dominique Louis. Elle s’amuse, elle aussi des codes des tenues traditionnelles roumaines comme du glamour des années 1930 et de l’âge d’or d’Hollywood. Les trouvailles visuelles sont pléthore, comme les chevaux-danseurs ou le duo dansé entre le « monstre » et sa fausse ombre projetée. Elles jouent des codes du théâtre pour mieux réjouir l’œil.
Ce dernier est à la fête donc, d’autant plus que les chorégraphies de Graham Erhardt-Kotowich sont particulièrement réussies et menées avec maestria par l’ensemble des artistes. Le ballet de l’opéra-théâtre est au cœur de cette performance dont l’apothéose est un épatant numéro de claquettes sur « Puttin on the Ritz », standard fox trot des années 1920.
Le rythme est au cœur de ce type de spectacle et ici encore le succès est total ; la soirée ne souffre d’aucun temps morts, l’énergie et la joie déployées sur le plateau sont communicatives, tandis qu’en fosse Aurélien Azan Zielinski mène son big band tambour battant. La phalange est de grande qualité, juste, précise ; les cuivres y sont à la fête.

Cette parodie fantasque de l’œuvre de Mary Shelley enlevée, joyeuse, flirte avec le grivois – parfois même le potache, voire le graveleux – mais n’était ce pas également le cas des opérettes des années 1930 ? Phi-Phi ne nous démentirait pas.
Une grande partie du cast était déjà dans l’aventure en 2021 comme le démontre l’exceptionnelle cohésion perceptible tout au long de la soirée. les chorégraphies sont d’une précision millimétrique, les dialogues ciselés, les dictions impeccables, les répliques fusent…
Vincent Heden est bluffant d’aisance en Dr. Frederick Frankenstein, un rôle qu’il a déjà endossé à plusieurs reprises. Il nous avait bouleversé cet hiver dans la Falaise des Lendemains à l’Opéra de Rennes. Son ténor séduisant, son jeu énergique, n’ont d’égale que sa veine comique, sans parler de ses compétences en danse ou en claquettes.
Il partage un formidable sens de la scène avec sa délicieuse assistante Inga incarnée par l’époustouflante Lisa Lanteri, danseuse en formation – comme le démontre son grand écart – mais également chanteuse d’excellent niveau qui yodle avec brio d’un soprano fruité et mutin.
Grégory Juppin est excellent en assistant quasimodesque à la voix de jeune Premier, tout comme l’hilarante gouvernante campée par Valérie Zaccomer.
Léonie Renaud minaude à plaisir en Elizabeth Benning, profitant d’aigus faciles, percussifs, d’un timbre brillant un peu moins à son aise – et moins juste – en voix de poitrine.
Jean-Fernand Setti, Laurent Montel, Philippe Ermelier bouffonnent avec brio tout comme le chœur de l’opéra-théâtre qui se coule avec enthousiasme dans les codes de la comédie musicale.
Le moins que l’on puisse dire c’est que le vent de Broadway souffle ce soir jusqu’en Lorraine. Cerise sur le cupcake, à l’issue de la représentation, Paul-Émile Fourny rend hommage à Clément Malczuk qui fait ses adieux de danseur avec ce Frankenstein Jr et a pu réaliser son « rêve de comédie musicale » avec le rôle de Ziggy où il excelle. Sa famille le rejoint et comme toujours lorsque la vraie vie s’invite sur scène, l’émotion se mêle au plaisir d’une soirée marquante qui mériterait de tourner largement dans l’hexagone.
*L'ultime production 2024-25, Aïda, se tiendra hors les murs.