Les marionnettes siciliennes Opera dei Pupi, nées au début du XIXe siècle et extrêmement répandues il y a encore une cinquantaine d’années, ont vu un grand nombre de compagnies cesser progressivement leur activité. Fort heureusement, quelques marionnettistes, dont Mimmo Cuticchio à Palerme, consacrent leur vie à sauver cet art populaire inscrit en 2001/2008 au titre du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’UNESCO. Les marionnettes qui jouent ce soir à l’Athénée mesurent 80 cm (d’autres types peuvent mesurer 1,20 m et peser jusqu’à une vingtaine de kilos). Caractéristiques par leur haut crochet métallique et leurs deux tiges de fer (la première pour le maintien général, la seconde pour mouvoir la main droite, la gauche étant mue par des fils souples), elles sont fabriquées sur une armature de bois avec de riches étoffes et des ornements et armes métalliques, chacune étant manipulée par un marionnettiste habillé de noir qui l’accompagne dans ses déplacements sur scène. Des fonds de toiles peinte et deux portants complètent l’organisation spatiale.
La marionnette fait bon ménage avec l’opéra : qui ne connaît notamment les marionnettes (à fils) de Salzbourg ? Et qui ne se souvient du mémorable Béatrice et Bénédict présenté en 2010 à l’Opéra Comique (voir recension) : la représentation nous avait déjà entraînés dans le monde magique de la marionnette sicilienne. Aujourd’hui, c’est la quintessence du genre, mené à son plus pur achèvement, qui est née d’une véritable rencontre artistique entre Vincent Dumestre et Le Poème Harmonique d’une part, Mimmo Cuticchio et le théâtre des Pupi d’autre part. L’un et l’autre ont voulu retrouver l’esprit de merveilleux propre au baroque, en restituant le genre particulièrement original de l’opéra pour marionnettes, qui est apparu à Venise dès 1670. L’opéra choisi, Caligula, composé en 1672 par Giovanni Pagliardi sur un livret de Domenico Gisberti, retrace le parcours de l’empereur romain entre folie, passion et pouvoir. Énorme succès à sa création, cette œuvre mêle tous les genres : désir, jalousie, espoir, amour et joie, comique et tragique… De chaque côté du podium installé au centre de la scène de l’Athénée, six chanteurs habillés de noir prêtent leur voix aux interprètes de bois. Les musiciens sont dans la fosse.
On ne sait ce que l’on doit admirer le plus dans cette réalisation, d’où l’on sort avec des étoiles dans les yeux : la qualité musicale, d’abord, qui mêle une direction qui n’est plus à vanter à des instrumentistes qui feraient aimer le baroque et les instruments anciens aux plus réticents. Ensuite, six chanteurs vraiment extraordinaires, Jan van Elsacker, Caroline Meng, Florian Götz, Jean-François Lombard, Luanda Siqueira et Serge Goubioud, aux qualités vocales et techniques supérieures, qui roucoulent, racontent, changent de voix, et surtout animent l’espace d’une manière étonnante avec leurs intonations en mimétisme parfait avec les attitudes des marionnettes, réalisant ainsi un doublage que beaucoup de films auraient à leur envier. Enfin, les manipulateurs qui donnent vie à ces personnages de bois et de métal, au point que plus d’une fois on se laisse prendre aux attitudes et aux mimiques. Une heure vingt de rêve, qui passe comme un éclair. Du grand art.
Le spectacle continue sa tournée à travers la France : s’il passe près de chez vous, ne le manquez pas, et s’il passe loin, faites le voyage, vous ne serez pas déçus !