Le vingtième anniversaire du festival d’Avenches (Suisse), qui se déroule dans le cadre des arènes romaines d’Aventicum, n’a pas bénéficié d’auspices très favorables, puisque deux représentations sur six (les 4 et 6 juillet, dont la première) ont été annulées en raison de la pluie. Ce soir, le plafond est très bas, de gros nuages noirs ne demandent qu’à lâcher leur eau, mais une seule petite averse interrompra la représentation au début du deuxième acte, et le spectacle pourra s’achever normalement avant un nouveau déluge.
On peut imaginer la qualité de la première distribution, avec Béatrice Uria Monzon et Jorge de Leon, que nous n’avons pu voir en raison des impératifs de notre circuit des festivals de l’été. C’est donc la seconde distribution qui joue aujourd’hui. Toutefois, ce n’est pas sur scène, mais dans la fosse que se trouve le problème majeur de la soirée. D’abord, l’Orchestre de chambre de Lausanne, composé quand même d’une soixantaine d’instrumentistes, est sous-dimensionné pour un spectacle de plein air : on l’entend si peu qu’au début du deuxième acte le public continue de parler pendant plusieurs minutes avant de s’apercevoir que le spectacle a repris ! Orchestre qui se trouve comme dans une brume sonore, sans brio, sans fougue et sans panache, bref sans rien de la palette sonore que l’on est en droit d’attendre pour Carmen, et que l’on a pu apprécier lors de précédents festivals. Une grande part de responsabilité en revient donc à la direction beaucoup trop lente et sans éclat du chef Alain Guingal, qui bride et fatigue les chanteurs, au point que, par exemple, lors du quintette du deuxième acte, ceux-ci lâchent le chef et s’envolent de leurs propres ailes, entraînant un long décalage avec l’orchestre qui peine à les suivre.
Problème un peu différent en ce qui concerne la réalisation scénique : le magnifique décor de Jean-Marie Abplanalp, ovale répondant à celui des arènes, est plutôt sous-utilisé par le metteur en scène Éric Vigié qui reprend à l’envi des clichés éculés dans une transposition sans esprit au début des années 60, avec des procédés courants dans les parcs d’attraction comme le feu qui s’anime au gré de la musique ou la voiture qui explose. Nombre de contresens émaillent le spectacle, comme le fait de brûler les pieds de Zuniga pour qu’il ne puisse suivre les contrebandiers alors que le texte dit « Passez devant sans vous faire prier ». Quelques éléments sont néanmoins bien venus, tels les enfants au premier acte, et les vidéo de Quentin Martinelli au dernier acte, qui remplacent par des films anciens de corrida l’habituel défilé et créent un excellent contrepoint au jeu scénique, jusqu’à la tête de mort finale. Les silhouettes des spectateurs de la corrida se détachant en magnifiques ombres chinoises sur des fumées blanches doivent beaucoup aux beaux éclairages d’Henri Merzeau.
© Photo Festival d’Avenches 2014
La Carmen de la cantatrice suisse Noëmi Nadelmann, sans grande originalité ni personnalité, ne parvient pas à s’extraire d’un certain traditionalisme que rien vocalement ne vient relever. Son Don José, Giancarlo Monsalve, se contente de chanter correctement – sauf la dernière note – l’air de La Fleur, mais sa voix prématurément usée ne peut plus assurer le rôle entier ; son arrivée a capella au deuxième acte, hurlée et détonnant dans tous les sens, est un supplice pour l’oreille. La Micaëla de Greta Baldwin, même bien chantée, est inconsistante. Quant à l’Escamillo de Franck Ferrari, il est extrêmement musical et sans vulgarité, mais on l’entend à peine à l’autre extrémité des arènes. Les autres interprètes sont dans une honnête moyenne, et les chœurs très bons, mais ne suffisent pas à sauver le spectacle de la routine. Car Carmen, un des opéras les plus joués dans le monde, ne peut se satisfaire d’une qualité générale tout juste passable. C’est dommage quand on voit les efforts déployés tant par les artistes que par tous les bénévoles qui accueillent et accompagnent si gentiment les festivaliers.