L’Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz propose une création tous les deux ou trois ans en moyenne. Hasard du calendrier, alors que le projet a été initié il y a déjà quelques années, c’est un spectacle inscrit dans l’actualité brûlante du moment qu’on a pu découvrir, lors de deux uniques représentations, en création mondiale, en ce début de février. Voix d’Hébron est une coproduction avec l’opéra de Modène et c’est conjointement que la commande a été passée à Christian Carrara, très connu en Italie où il enchaîne les compositions, un peu moins renommé en France. Si l’on se demande comment le directeur du théâtre, Paul-Émile Fourny, a pu entrer en contact avec les équipes italiennes mêlées au projet, la réponse est simple. Notre très actif directeur avait été sollicité juste avant la pandémie pour mettre en scène Aucassin et Nicolette pour le Festival de Jesi dont Christian Carrara est le directeur artistique. Le courant est visiblement passé et Paul-Émile Fourny dit être très sensible à la musique du compositeur italien qu’il a envie de faire découvrir de ce côté-ci des Alpes.
Le livret est signé Sandro Cappelletto, historien de la musique, écrivain et ancien collaborateur de Giuseppe Sinopoli, entre autres occupations. L’histoire est située dans la ville des Patriarches, Hébron, où la cohabitation entre Israéliens et Palestiniens est, c’est le moins qu’on puisse dire, compliquée. Un Vieil Homme, l’Étranger, possède une vigne sur la colline de la ville sacrée qu’il habite depuis des années avec Hannah. Parce que cette dernière est mourante, il demande à deux jeunes gens de l’aider à l’enterrer à Hébron. Le jeune homme, Mohammed, est Palestinien et archéologue. La jeune femme, Ruth, étudiante en agriculture, est Israélienne et fait son service militaire. Acceptant d’aider le Vieil Homme à contrecœur, les deux jeunes gens qui ne se connaissaient pas sont contraints à se côtoyer et en arrivent très vite aux mains. Ils sont séparés par le Vieil Homme qui les enjoint de respecter le lieu de sépulture d’Hannah. Le Vieil Homme décide de s’en aller en cédant ses terres à Ruth afin qu’elle les cultive et en laissant Mohammed fouiller le sol tout en confiant à tous les deux le soin de garder la maison. L’histoire se veut universelle, dans la mesure où elle pourrait se dérouler n’importe où et l’amour qui unit le couple âgé est « un voyage, délicat, dans la difficulté, et la beauté, d’être l’un à côté de l’autre », comme le souligne Christian Carrara dans sa note d’intention.
La musique est à la fois extrêmement simple, avec une ligne mélodique séduisante dès la première écoute, mais également riche de complexités et de raffinements sonores. Baignée de rythmes orientaux combinés avec de larges envolées qui ne sont pas sans rappeler les sonorités de l’après-guerre au cinéma entre autres références possibles, la musique de Christian Carrara possède une très forte charge émotive. On dit que le compositeur a une très grande facilité d’écriture et cela transparaît. Christian Carrara affirme avoir voulu évoquer le désert de l’âme comme le désert physique, ce que le directeur Paul-Émile Fourny, qui assure également la mise en scène du spectacle, a retranscrit à l’aide d’un décor d’une grande sobriété. Un sol tout en aspérités qui évoque, selon les dires du metteur en scène, un lit de fleuve asséché, bordé de panneaux courbes stylisés qui font penser à l’entrée d’une grotte, d’une mine ou d’un camp, quelques voiles transparents, voilà qui suffit à suggérer un univers à la fascinante beauté que la musique sublime. Le décor est repris d’un spectacle précédent, Giovanna d’Arco, dans une démarche d’économie et de développement durable affirmée.
La simplicité du dispositif resserre l’attention sur les quatre protagonistes, ce qui contribue à valoriser davantage encore les liens et les tensions qui les unissent. Les voix se marient superbement. Dans le rôle de Hannah, la soprano Maria Bagalà déploie des trésors de délicatesse et de tendresse amoureuse, avec par endroits, une pointe d’accent, sans que cela ne nuise à la beauté du texte et à l’émotion qui se dégage de son chant. Dans le rôle de Ruth, la mezzo Shakèd Bar fait montre de toute la force de caractère de la jeune femme et donne chair à des sentiments mêlés déferlant en émotions extrêmes. La jeune chanteuse est dotée d’un tempérament de feu et d’une vraie présence scénique. De son très beau timbre de haute-contre à la française, David Tricou lui tient tête avantageusement dans le rôle de Mohammed et pour compléter cette harmonieuse distribution, le baryton Jean-Luc Ballestra possède l’autorité et la douceur qui lui permettent de rendre crédible la profondeur et la force de l’amour qui est en lui et irradie abondamment. La direction précise et ciselée d’Arthur Fagen permet à l’Orchestre National de Metz en formation réduite de mettre en valeur chaque instrument.
À Modèle, le spectacle va être donné en langue italienne, ce qui donne furieusement envie d’aller écouter la même distribution confrontée à un nouveau texte, pour compléter la découverte et l’appréciation de cette œuvre riche et foisonnante. Il faut espérer que le public italien sera plus curieux que les amateurs messins, d’ordinaire au rendez-vous mais étrangement absents ici, comme si le thème du sujet leur avait fait peur. Les rangs étaient bien clairsemés dans le joli théâtre, ce qui est bien dommage pour cette œuvre humaniste, ne prenant parti pour personne mais profondément cathartique et tellement d’actualité.