Quelques semaines après la fin de l’année Wagner, le compositeur du Ring ne semble plus faire recette dans une Salle Pleyel modérément remplie, samedi soir, à l’occasion d’une soirée consacrée à quelques fameux extraits. Les Grandes Voix ont pourtant mis les petits plats dans les grands, en conviant pour l’occasion Anja Kampe, Sieglinde pour Gergiev au disque, bientôt pour Kirill Petrenko à Bayreuth, Senta et Leonore (Fidelio) à Munich, à Londres et à Vienne, mais curieusement absente des scènes parisiennes, si l’on excepte une Walkyrie en concert, il y a deux ans, au Théâtre des Champs-Elysées. Sa voix claire mais puissamment projetée, donne d’emblée à « Der Männer Sippe » un opportun mélange de jeunesse et de gravité, qui s’amalgament et s’abandonnent dans un « Du bist der Lenz » d’une belle plénitude, caresse l’oreille du spectateur le plus délicat. Isolde, que la cantatrice n’a pas encore osée, la dépasse pour le moment : en écoutant ce chant si profondément lyrique se plier aux écarts du duo deuxième acte, avant de se lancer, à volume et à souffle perdus, dans la Liebestod, on se réjouit que les pages les plus dramatiques du premier acte n’aient pas été tentées. C’est égal, cette belle artiste a obtenu du public parisien les ovations qu’elle reçoit et mérite aux quatre coins du monde, et c’est justice.
Si l’on se réjouissait d’entendre à ses côtés Gary Lehman, l’annonce de sa défection, puis de son remplacement par Robert Dean Smith, a laissé plus dubitatif, la grande musicalité du ténor américain n’ayant pas toujours suffi à convaincre qu’il avait pleinement le format d’un héros wagnérien. La tessiture de Siegmund, bien sûr, ne lui pose pas de problème, et il assure sans difficulté de longs « Wälse ! » à la fin d’ « Ein Schwert verhiess mir der Vater ». Mais à cette voix parfois métallique, il manque une étoffe, à cette technique parfois appliquée, un panache, à la probité de l’artiste, une insolence que l’on ne trouvera pas plus dans son Tristan, personnage qu’il s’apprête à retrouver au printemps à l’Opéra Bastille : là, les moyens atteignent leurs limites naturelles, et la sensualité morbide du duo peine à se faire bien entendre.
Quand les voix faiblissent, c’est vers l’orchestre que l’on se tourne : le geste à la fois exalté et précis de Jean-Claude Casadesus, au pupitre, obtient de musiciens incandescents, une Walkyrie rageuse puis, surtout, un Tristan passionné, théâtral, vibrant, les préludes des premier et dernier actes permettant de mesurer les splendeurs instrumentales dont est capable la formation lilloise. A peine quitté son siège, on se dit qu’on reprendrait bien d’une deuxième année Wagner…