Aussi étrange que cela puisse paraitre, Roberto Alagna ne s’était jamais produit aux Arènes de Vérone. Grâce à la volonté de la directrice Cécilia Gasdia qui réunit chaque été une brochette impressionnante de stars sur les bords de l’Adige, c’est désormais chose faite depuis le samedi 31 juillet. Des débuts, et quels débuts ! Aux côtés de sa compagne à la ville, le ténor français endosse consécutivement les rôles de Turiddu et Tonio cependant qu’Aleksandra Kurzak lui donne la réplique en Santuzza et Nedda. Ambrogio Maestri complète magistralement le trio.
Dans la pièce « sicilienne », c’est hors scène et avec une sonorisation qui laisse à désirer que les festivaliers le découvrent. La cantilène est pourtant irréprochable, le timbre et l’engagement vocal épouse la virilité du personnage. Le portrait du roquet et du séducteur s’anime dans une fougue vocale qui culmine dans un brindisi solaire et sonore. Dans la dernière scène avec Mamma Lucia, Roberto Alagna fend l’armure du bellâtre et laisse passer toutes les fissures et la peur existentielle du personnage dans des accents aussi naturels que déchirants. Aleksandra Kurzak embrasse l’énormité du rôle de Santuzza : sa voix en couvre tout l’ambitus avec un timbre égal et une projection jamais entamée. Scène après scène elle compose une jeune fille éperdue et sensible (malgré l’indigence des répliques que le livret lui offre), à l’opposé de la virago que l’on rencontre souvent dans le rôle. Ambrogio Maestri nous rappelle une fois encore que Falstaff n’est pas la seule corde à sa vocalité : voici un Aflio noble et plein de morgue, mordant comme puissant et dont l’invitation au duel est glaçante. Elena Zilio enfin possède cette couleur vocale un rien aigre qui sied tant aux mères d’opéra, celles que l’on sait usées par les affres du temps mais pourtant ô combien humaines. Le chant là aussi est égal sur toute la ligne et irréprochable stylistiquement. Il en va de même pour Clarissa Leonardi (Lola) qui complète élégamment cette excellente distribution.
Le fond de scène, assemblé par D-WOK, n’a pas changé depuis Turandot, et l’on retrouve le même procédé numérique d’animation du décor, tantôt symbolique, tant documentaire (les photos d’époque des villages montagneux de Sicile), tantôt réaliste. Contrairement au dernier opéra de Puccini, le grand escalier menant à l’église, les processions, charrettes et autres accessoires confèrent une grande lisibilité et un habillage réussi des grandes pages symphoniques de l’œuvre.
© Arena di Verona
Des pages qui trouvent toute leur beauté sous la baguette de Marco Armiliato et d’un orchestre en grande forme. Harpe légère, petite harmonie langoureuse, cuivres précis, violons duveteux… le chef italien les assemble dans une lecture nerveuse où jamais la tension ne retombe malgré les défauts et longueurs de ces deux courtes œuvres.
Dans Pagliacci, on retrouve nos trois principaux chanteurs et leurs qualités. Certes Aleksandra Kurzak accuse une légère fatigue après l’air de Nedda, mené avec une grande précision et une grande rigueur. Roberto Alagna délivre un « vesti la giubba » tout en crescendo où le timbre et le phrasé se conjuguent au service du texte. Il recevra une longue ovation méritée, ponctuée de quelques demandes de bis. Si le mordant d’Ambrogio Maestri sied tout à fait au fourbe Tonio, on retiendra surtout son monologue du prologue, exemple de diction et de style, dont le texte résonne si durement dans les temps pandémiques qui sont les nôtres. Mario Cassi se joint à la bande de son timbre charmant, idéal pour incarner Silvio, l’amant de Nedda.
© Arena di Verona
Si le concept de mise en scène reste inchangé, on se réjouit une heure durant de ce théâtre de tréteaux transposé dans les studios d’Hollywood des années 50 qu’on assemble devant nous. Nombre de trouvailles, de gadgets et de péripéties ponctuent les scènes de groupe. Surtout, à l’inverse de Turandot, la direction d’acteur est soutenue et renforce d’autant la lisibilité et le plaisir que l’on prend à ce spectacle.