Si certain ténor chante les deux Otello du répertoire, Joyce DiDonato peut désormais se targuer de chanter deux Cendrillon. On connaît bien celle de Rossini qu’elle a défendue de par le monde et voici que, depuis une bonne dizaine d’années, elle a ajouté à son répertoire celle, plus rare, de Massenet, qu’elle retrouve à l’occasion de la création new-yorkaise de l’oeuvre éponyme au Metropolitan Opera (quasiment 120 ans après sa composition).
La première scène lyrique américaine a fait appel à Laurent Pelly pour régler une de ces productions légères dont il a le secret. Dans la même veine loufoque que La Fille du Régiment, le metteur en scène français s’autorise tous les gags, y compris dans les costumes du défilé des prétendantes devant le Prince charmant. Le décor unique qu’il choisit est astucieux : les pans de mur de la maison aristocratique se déplient pour former un cône vers le fond de scène ; les portes sont autant d’entrées et de sorties pour le ballet des valets ou les enchantements de la bonne fée. Laurent Pelly joint la poésie à l’élégance par l’évocation des toits de Paris lors de la scène du rêve du troisième acte. Le metteur en scène se paye même le luxe d’inscrire le texte, en français, du conte de Perrault sur les murs du décor, sans que l’on voie ce que cela apporte à la narration linéaire qu’il choisit. Bien entendu, la direction d’acteur suit le mouvement de ce cadre global et fonctionne d’autant mieux que les artistes réunis sont facétieux.
© Ken Howard / Metropolitan Opera
Laurent Naouri compose un Pandolfe impayable à la projection remarquable et au timbre chaleureux, assortis d’une diction exemplaire (le seul pour qui c’est le cas sur scène). Il trouve son pendant parfait chez Stephanie Blythe, matrone gargantuesque de charisme scénique dans une robe fourreau ridicule et dont les rondeurs vocales de contralto croquent la marâtre en trois répliques. La Noémie acidulée de Ying Fang et la Dorothée piquante de Maya Lahyani complètent cette brochette de personnages bouffes. Kathleen Kim hérite du rôle peut-être le plus exposé. Les deux scènes de Marraine-la-Bonne-Fée exigent en effet une précision technique d’horloger dans la vocalise et une capacité à nuancer pour faire le naître le merveilleux. La soprano sud-coréenne y excelle jusque dans des suraigus pianos sur le fil du plus bel effet. Alice Coote habite le rôle du Prince Charmant avec style et une incarnation scénique un peu gauche qui sied bien au personnage. Dommage que la voix manque d’épaisseur et de couleurs plus sombres, non pas tant pour rendre justice au rôle que pour la différencier tout à fait de la Lucette de Joyce DiDonato. La mezzo américaine dans un nouvel emploi de soprano accuse une certaine tension dans l’aigu et un vibrato qui s’épanche jusque dans le medium. Pourtant la ligne reste châtiée et les moirures du timbre collent à la naïve bonté du personnage. L’intelligence du chant et l’aisance scénique finissent de faire de cette incarnation un succès, malgré nos quelques réserves.
En fosse, Bertrand de Billy dirige avec une grande douceur un orchestre du Met comme en sourdine. Peut-être est-ce la bonne option tant les musiciens du Metropolitan Orchestra portent les pages les plus élégiaques par leur simple qualité. Toutefois, et même si la baguette ne manque pas d’allant, on regrettera que les pastiches et toutes les danses typiques dans lesquelles Massenet va puiser, ne soient pas plus différenciées. Au total, la soirée s’avère plaisante, a fortiori dans un théâtre réactif et friand de ce type de spectacle. Le Metropolitan lui consacrera sa dernière retransmission live dans les cinémas de la saison le 28 avril prochain.