A l’occasion de la rediffusion en streaming de Cendrillon, nous vous proposons de relire ci-après le compte rendu de la représentation du 16 juillet 2011.
Si Laurent Pelly est devenu l’un des metteurs en scène les plus prisés des maisons d’opéra comme de la critique et du public, c’est qu’il sait conjuguer originalité avec respect de la musique et du livret. Ici, le terme galvaudé de « lecture » de l’œuvre est à prendre au pied de la lettre. C’est en se remémorant les Contes de Perrault de son enfance que Pelly a choisi pour cette Cendrillon une scénographie en forme de livre d’images.
En plaçant cet opéra comique qui ne recule pas devant le mélange des genres dans un univers de pure fantaisie, Pelly lui restitue toute sa saveur. Avec lui, les gags d’une irrésistible drôlerie fourmillent. Le public s’en délecte et les interprètes y trouvent leur compte car si la farce alterne avec le merveilleux, tout est réglé au cordeau. Entre la fosse et la scène, le charme opère bel et bien. Et, sous la direction experte de Bertrand de Billy, le compositeur reste l’ordonnateur suprême d’un ouvrage qu’il a voulu à la fois souriant et sensuel.
En dessinant lui-même les costumes, le metteur en scène garde la haute main sur la conception visuelle du spectacle. La grisaille dont émerge Cendrillon avant que sa robe de lumière ne la transforme en Lucette, le prince en pyjama rouge, enfermé dans sa mélancolie, la fée scintillant de mille feux, les tenues cocasses de la marâtre et de ses filles… sont autant de signes qui caractérisent les personnages et reflètent leurs états d’âme. De surcroît, on ne peut qu’admirer la clarté de la direction d’acteurs qui insuffle à chaque entrée l’humeur de la scène ; on ne peut qu’applaudir la force comique des temps forts : la préparation au bal, le coup de foudre, l’apparition du carrosse, l’hilarante séance d’essayage de la pantoufle de verre, la révélation du triomphe de Cendrillon.
Joyce DiDonato © Bill Cooper/ROH 2011
Dans le rôle titre, Joyce Didonato, est annoncée enrhumée au début de la série de représentations. Si sa voix de mezzo au timbre soyeux et naturel paraît à priori adaptée à un rôle, chanté il y a cinq ans dans cette même production à Santa-Fe, et dont on attendait beaucoup, la star américaine déçoit quelque peu. Comme s’il lui fallait s’économiser, contrairement à son tempérament, elle semble en retrait du personnage ; sa diction est souvent imprécise. Néanmoins, la gémellité de timbre des deux mezzos donne toute sa grâce au duo d’amour avec sa délicieuse phrase musicale récurrente « Vous êtes mon prince charmant ». Scéniquement et vocalement, Le Prince d’Alice Coote est fort séduisant et le public londonien l’acclame à juste titre au moment des saluts. En Fée protectrice, compte tenu de ses moyens limités dans le suraigu et d’une voix parfois instable, l’élégante soprano cubaine Eglise Gutiérrez tire son épingle du jeu. Dans le rôle de la terrible marâtre, Madame de la Haltière, Ewa Podleś et ses deux filles bien chantantes forment un trio désopilant. Savourant chaque mot avec gourmandise et autorité, la contralto polonaise révèle pleinement sa veine comique dans un rôle en or pour elle – surtout à travers cette mise en scène débridée et dans la vaste salle de Covent Garden dont l’excellente acoustique convient à sa voix onduleuse.
Après les compliments dus aux nombreux personnages secondaires, aux choristes et aux danseurs, il convient d’ajouter que, selon l’applaudimètre, la dernière représentation, le 16 juillet, s’est avérée la meilleure pour tous les interprètes – y compris le Pandolfe de Jean-Philippe Lafont, toujours excellent scéniquement mais vocalement à la peine trois jours auparavant (le 13 juillet). Sans doute le bénéfice du travail accompli et les bienfaits de soixante-douze heures de repos.