Vous n’avez pas encore vu la production du Barbier de Séville imaginée par Coline Serreau ? Ce ne sont pourtant pas les occasions qui ont manqué, ce spectacle créé en 2002 ayant déjà eu les honneurs de reprises en 2003, 2005, 2008… et j’en oublie peut-être.
On retrouve avec plaisir les ingrédients d’un succès qui ne s’est jamais démenti : un dispositif scénique astucieux, des décors somptueux qui nous entraînent dans une Arabie de conte, une mise en scène malicieuse et parfaitement réglée de Coline Serreau, qui ne verse jamais dans la farce. Certains chanteurs des précédentes éditions sont également au rendez-vous, notamment la Berta de l’impayable Jeannette Fisher… Qui d’autre pourrait aussi bien animer son aria di sorbetto à coups de break dance ? La recette fonctionne donc toujours aussi bien, sans être émoussée par les nombreuses reprises, ce qui en-soi est une preuve de qualité ; mais cette année elle est pimentée par quelques nouveautés.
Non des moindres est le rétablissement du fameux « Cessa di piu resistere » du Comte Almaviva. Certes, la longue aria en 2 mouvements arrive un peu « comme un cheveux sur la soupe » dramatiquement, retardant artificiellement le dénouement heureux… Mais quel plaisir d’entendre ce morceau de bravoure, notamment la partie « moderato », qui connaîtra la consécration sous forme de rondo finale de la Cenerentola ! Ici on entre dans le domaine de la pure jubilation : Coline Serreau l’a bien compris en transformant le temps d’un air le Comte Siragusa en footballeur (italien cela va de soi !) jonglant avec son ballon… Effet de surprise et succès public garantis.
Ce n’est en fait qu’un des éléments du show Antonino Siragusa… Dans sa canzonetta « se il mio nome », il s’accompagne lui même à la guitare – renouant ainsi avec ses premières amours instrumentales1 – dérapant soudain vers le flamenco par excès de passion. Un rien cabotin, il aime à tenir les notes finales… et s’autoparodie en se faisant chronométrer à la fin du « cessa di pui resistere ». Et vocalement me direz-vous ? La voix haute d’émission perd un peu de son impact dans le grand hall de Bastille, et d’aucuns trouveront le timbre moins flatteur que celui d’un Juan Diego Florez, ou la virtuosité moins ébouriffante qu’un Rockwell Blake. Il serait pourtant dommage de bouder son plaisir face à un chant rossinien qui respire le naturel… Vocalises, roulades ne sentent jamais l’effort ; et si le ténor italien ne s’économise à aucun moment, il arrive pourtant encore plein de ressources pour emporter de façon magistrale le meurtrier « cessa ». Assurément un des meilleurs Comtes actuels.
La grande réussite de cette reprise aura également été la belle homogénéité du cast. A commencer par un barbier « di qualità » en la personne de George Petean. Il marque dès son entrée par une voix d’une grande ductilité et d’une aisance étonnante dans le haut du registre, lui permettant des variations originales dans l’aigu. Et l’acteur ne se laisse jamais voler la vedette par le Comte survolté. En un mot : « Ah, bravo Figaro » !
La belle Rosine de Karine Deshayes complète ce brillant trio. La lauréate 2002 des Voix Nouvelles charme par son mezzo plein aux graves ronds et aux aigus libérés et puissants. Ne lui manque qu’un grain de folie dans les variations pour parfaire le portrait de la jeune fille mutine et passionnée.
Au chapitre des satisfactions on notera également la direction du vieux briscard Bruno Campanella, que l’on aurait pu espérer plus enlevée et électrisante (notamment dans les crescendi ou dans l’ouverture) mais qui se distingue par sa délicatesse et son attention constante pour le plateau, participant à l’impression de cohésion du spectacle.
La retenue des tempi du maestro Campanella n‘empêche pourtant pas les décalages avec les voix graves. Si Paata Burchuladze en Basilio compense en partie son manque d’aisance dans les parties rapides (la calunnia en passerait presque inaperçue) par un beau timbre profond, le Bartolo de Renato Rinaldi, lui, ne parvient plus à cacher l’usure de son instrument, malgré sa composition savoureuse de vieux barbon vaniteux : le chanteur est sans cesse à la peine, particulièrement dans un « a un dottor della mia sorte » à court de souffle.
Une mise en scène vive et cocasse, des décors fastueux, une équipe brillamment homogène… Impossible de résister à cette reprise pétillante du Barbier !
1 Il fut d’abord guitariste, accompagnant plusieurs chanteuses de variété italiennes, avant de se lancer dans le chant.