Sandrine Piau possède une voix qu’on reconnait aisément par sa clarté, la précision de son intonation, son délicieux petit vibrato, source de couleurs et de charme, le tout empreint d’une grande pureté. Il en va ainsi depuis le début de sa carrière, qu’elle mène très intelligemment, consciente des répertoires qui lui conviennent, dont elle ne sort guère et pourquoi le ferait-elle ? La mélodie française, à laquelle était principalement consacré le récital namurois, fait partie de ceux-là. Elle n’hésite pas à y mêler des pages germaniques (elle l’a souvent fait dans ses enregistrements thématiques) tout en respectant une unité d’intention. La soprano est aussi excellente musicienne, très raffinée dans ses interprétations, avec une maîtrise accomplie du sens de la phrase et une grammaire bien rôdée de petits effets d’interprétation dont elle use avec beaucoup de discernement. Elle a longtemps eu pour partenaire Susan Manhoff, avec qui elle formait un duo exceptionnel de complicité et de raffinement, mais ces temps-là sont révolus ; et c’est donc avec Eric Le Sage qu’elle poursuit sa route.
C’est devenu un passage obligé ces deux ou trois dernières années : partout les producteurs de concert souhaitent mettre en avant les œuvres des compositrices longtemps délaissées, partout les artistes se plient à cette suggestion. Et donc, en ouverture de programme, Sandrine Piau et Eric Le Sage donnaient trois Lieder de Clara Schumann issus de l’opus 13, composés entre 1840 et 1843, au début de son mariage avec Robert. Ils sont magnifiques, ces Lieder de Clara Schumann, et n’ont rien à envier à ceux d’autres grands compositeurs allemands. Un peu troublés par un problème de tourne en tout début de programme (les partitions sur tablette numérique ne résolvent pas tout) nos deux artistes se sont vite repris pour aborder ensuite Chausson, que Sandrine Piau interprète avec grand soin et beaucoup de poésie, puis deux mélodies de Poulenc sur des textes d’Apollinaire où apparaît, heureuse surprise, une solide dose d’humour et de second degré.
Moins investi que sa partenaire, Eric Le Sage nous a semblé en retrait, exagérément discret. Ce pianiste pourtant familier du répertoire et rompu à tous les exercices, est un habile virtuose et allait d’ailleurs livrer en milieu de programme une magistrale interprétation des Variations Symphoniques op.13 de Schumann, enthousiasmante à souhait. Mais sa prestation comme accompagnateur, moins soignée et moins imaginative, n’a pas toujours été à la hauteur de sa partenaire. Ce fut encore le cas pour La bonne chanson (Fauré – Verlaine) qui clôturait le programme, cycle magnifique mais complexe, à la ligne harmonique particulièrement élaborée, propre à décontenancer les auditeurs les moins familiers – les autres s’en délectent. L’articulation du piano parut ici encore un peu molle et imprécise, avec abondance de pédale pour masquer le tout, mais la chanteuse, moins confiante qu’il n’aurait fallu, réussit quand même, par sa sincérité touchante, à sauver la mise et instaurer un climat délicieusement poétique propre à rendre justice à l’œuvre.
Aucun bis ne vint hélas prolonger l’atmosphère intime et délicate de la soirée.