Pour son dernier week-end, le Festival a retenu des figures et des œuvres emblématiques du baroque, ainsi, le célébrissime Te Deum de Charpentier. Des quatre qui nous sont parvenus, celui-ci, est le deuxième. Sa redécouverte en 1952, popularisée l’année suivante comme indicatif de l’Eurovision, au moment où le microsillon s’imposait, s‘est imposée dans toutes les oreilles (1). Cette seule œuvre a suffi à hisser au panthéon baroque la figure de Charpentier, chantre de l’apothéose de la gloire monarchique. C’est sur elle que s’achèvera le concert que Valentin Tournet dirige. Comme Louis Devos il y a quarante ans (2), il lui associe deux œuvres sacrées moins connues de Charpentier : Le De profundis (psaume 130), H 189, qui avait été précédé d’un autre (H 156) sera suivi de plusieurs illustrations nouvelles, puis le Magnificat H. 79, le troisième, auquel succéderont deux autres.
Le ciel menaçant a imposé le transfert du concert de la cour de l’Hôtel-Dieu à la basilique. L’acoustique, si dissemblable, la disposition, contrainte ce soir par l’espace réduit du chœur de l’édifice, vont constituer deux sérieux handicaps à la prestation. Comme de coutume, la basse continue (orgue, basse de violon et théorbe) a pris place devant le chef, les cordes de part et d’autre, le chœur étant relégué au fond, derrière les vents et les timbales. Les solistes chantent leur partie du chœur où ils se fondent, ou regroupés derrière les cordes, côté cour. Placées côté jardin, derrière les violons, les flûtes, auxquelles la partition des trois œuvres confère un rôle essentiel, souvent distinct de celui des cordes, sont fréquemment occultées par le reste de l’orchestre, et c’est bien dommage, car la fraîcheur colorée et la délicatesse de leur jeu en dialogue avec le chant, ne se distingue pas vraiment des doublures des hautbois ou du basson.
Dédié à la mémoire de Kader Hassisi, disparu il y aura bientôt un an, le De profundis, psaume de pénitence, prière de détresse, introduit un climat sombre, douloureux. Le prélude, très retenu, s’enchaîne au chant du petit chœur, auquel va se substituer le grand, à quatre puis huit voix. La progression conduit à la supplique du Domine, homophone. Les observations formulées plus haut sur l’acoustique et la disposition s’imposent : les lignes, malgré la précision des interprètes, paraissent confuses, les cordes impérieuses, amplifiées par leur position et leur jeu, créent un déséquilibre regrettable. La basse continue – le violoncelle et l’orgue, surtout – domine les parties des solistes, particulièrement lorsque celle de la basse est doublée. Ana Quintans et Cécile Achille, comme David Tricou, remarquable haute-contre, n’en ont que plus de mérite dans le Fians aures tuae. L’ornementation passe inaperçue, comme l’essentiel du texte chanté. Du Si iniquitates, la belle basse de Cyril Costanzo est étouffée par le continuo qui le double. Le grand tutti de Quia apud te propitiatio est, puissant à souhait, contrasté, tourne à une grande confusion acoustique, liée aux conditions énoncées au début. Les richesses de l’écriture polyphonique ne sont perceptibles qu’à condition de les suivre, partition en main. La suite sera à l’avenant. L’émotion est ponctuelle, liée davantage à la qualité du chant des solistes qu’à l’ensemble, déséquilibré.
Jubilatoire, le Magnificat est dirigé avec enthousiasme, et le bonheur est au rendez-vous, malgré les réserves émises, valables pour la totalité du concert. Le premier air de haute-contre convainc, comme le Suscepit Isreal, confié à Mathias Vidal. Les trois solistes hommes tirent leur épingle du jeu avec le Sicut locutus est. La polyphonie du Sicut erat in principio se dilue dans un halo sonore gratifiant, mais illisible.
De l’obscur Jacques Danican Philidor, le Cadet (3), le chef a retenu quelques pièces spectaculaires pour introduire le Te Deum. D’autres l’ont précédé dans cette démarche (Gester, puis Christie). Pour autant, on est en droit de s’interroger sur sa légitimité : nous sommes à l’église, et rien, à notre connaissance, n’atteste le jeu d’une telle introduction. Trois trompettes, dont une basse, font entendre leur fanfare à l’opposé du chœur. Emission, articulation, couleurs splendides, dont l’effet est garanti, réjouissent le public, d’autant que le timbalier n’est pas moins virtuose.
Pièce d’apparat, qui emprunte les trompettes et timbales à Lully et Delalande pour en rehausser l‘éclat, le Te Deum invite à la grandeur, à la célébration de la gloire, mais aussi à l’intériorité, à la foi et à la confiance. Le prélude, bien connu, est pris très allant, avec l’éclat attendu. La basse, dont l’intervention est la plus longue, y rayonne : voix sûre et riche, bien projetée, pour une déclamation noble, gratifiante. Les oppositions soli-chœur fonctionnent bien. Les flûtes sont en retrait avec des cordes toujours aussi puissantes. Le Pleni sunt et les sections suivantes offrent une variété expressive bienvenue. Mathias Vidal et Cyril Costanzo conjuguent leur voix pour un beau Te per orbem. Pour finir, le grand In te Domine speravi, fugué, est pris dans un tempo rapide, que le chef accroît insensiblement : dans le contexte acoustique signalé, le contrepoint se dissout. Sa reprise en bis, sympathique, ne changera rien.
Gageons que l’enregistrement, dont la sortie est prévue en septembre, restituera toutes les qualités attendues de ces magnifiques pièces.
(1) Louis Martini (1912-2000) l’enregistra deux fois, la seconde avec Maurice André à la trompette et l’orchestre Jean-François Paillard. Les huit mesures du rondeau d’ouverture furent ainsi choisies pour devenir l’indicatif de la toute nouvelle Eurovision. (2) Valentin Tournet n’était pas né, tant s’en faut, puisque le benjamin des chefs baroques a 27 ans. (3) Le cadet d’André, d’une riche famille de musiciens qui, en quatre générations, nous donna pas moins de neuf compositeurs. Les pièces sont extraites d’un recueil manuscrit (de Desmarets, pièces réunies par Philidor l’Aîné) consultable sur Gallica.