Après trois années de transition en co-direction avec Jean-François Heisser, Bertrand Chamayou reprend seul la direction artistique du festival Ravel de Saint Jean de Luz, irriguant le territoire basque de musique pendant deux semaines en cette fin de l’été.
L’académie accueille des professeurs primus inter pares qui, le soir venu, régalent les spectateurs de leur talent. C’est le cas sur les hauteurs, dans l’église Saint-Pierre de Saint-Pée-sur-Nivelle pour une séduisante proposition autour d’Ernest Chausson et de César Franck.
Barbara Hannigan propose d’abord une brassée de mélodies d’une belle intériorité. La soprano y offre son timbre capiteux, à la projection percutante, à la proverbiale conduite de la ligne musicale. Elle s’avère en revanche plus fragile dans les piani ainsi que dans la diction plus ou moins nette mais toujours au service de la narration.
En effet, les contes sont au cœur de cette édition 2024 et les deux artistes composent ici un bouquet dont chaque tige dessine la facette d’un même destin en forme de memento mori.
« Les Heures » ouvrent le concert et donnent le ton d’un univers déliquescent, impuissant face à la fuite du temps. Le tempo assez lent accentue la sensation d’immobilité encore renforcée par l’exceptionnel travail de legato de la chanteuse. Désespérées, à peine susurrées parfois les phrases s’étirent de sons droits, quasi baroques, de finales évanescentes.
Les fleurs cueillies, tressées, fanées filent ensuite la métaphore du tempus fugit.
« Le temps des lilas » , oscillant entre forte et piani, est tout d’élans brisés, de faisceaux tendus vers le ciel qui s’étiolent brusquement. Bertrand Chamayou – comme tout au long du concert – y souligne chaque nuance sans ostentation, dessinant chaque couleur, chaque émotion, d’un pinceau fin pour mieux soutenir Barbara Hannigan à la présence intense et grave jusqu’aux « Couronnes », où – merveilleuse comédienne – elle dessine la silhouette souriante puis désappointée de cette « fillette aux yeux cernés » qui tresse des guirlandes de fleurs pour un chevalier imaginaire afin de tromper sa solitude.
La délicatesse du piano perlé ajoute à ce moment de magie, qui fleurit plus encore avec la « chanson d’Ophélie », pareillement liée aux fleurs, pareillement incarnée. La voix est souveraine, les aigus superbes, la diction soignée et – toujours – la conduite de la phrase musicale tuile chaque syllabe vers l’inéluctable destin de l’héroïne sacrifiée. « Oraison » – extrait de « Serres Chaudes » comme un autre hommage au végétal – est presque enchaîné avec la mélodie précédente, comme si nous suivions les flux et reflux de la pensée de cette fillette grandie en Ophélie avant de s’évaporer en un spectre dont « la tristesse de la joie semble de l’herbe sous la glace ». Ainsi, avec une remarquable élégance, les deux musiciens donnent une dimension intense et poignante à ces mélodies qui deviennent le chemin d’une vie.
Le duo a enregistré l’an passé la « Chanson Perpétuelle » pour le label Alpha et l’interprète magnifiquement avec le soutien du quatuor Belcea. La richesse des harmonies du quintette, la transparence et la propriété quasi charnelle du son nourrissent la bouleversante interprétation de cette Ophélie séduite et abandonnée.
Après l’entracte les musiciens s’installent en majesté dans le chœur pour une somptueuse version du quintette avec piano en fa mineur de César Franck. Ils semblent y poursuivre sans paroles ce monologue intérieur qui alterne des moments de tension presque insoutenables, de révolte, de sanglots déchirants sans qu’aucun apaisement de vienne soulager l’âme tourmentée.