Ciboulette débarque à l’Opéra Comique avec tous ses primeurs. L’opérette créée en 1923 au Théâtre des Variétés n’est pas une inconnue dans ces lieux : elle avait déjà connu les ors de la salle Favart dès 1953. Le livret, signé Robert de Flers (alors directeur du Figaro) et Francis de Croisset, et la partition de Reynaldo Hahn, le plus français des Vénézuéliens, ont gardé toute leur fraîcheur et leur bigarrure, mariant avec verve romances, clins d’œil au Grand Répertoire (les retrouvailles de Zénobie et de Roger rappellent plus que fortement le duo Des Grieux-Manon à l’acte de Saint Sulpice dans Manon de Massenet) et exotisme (Ciboulette se mue en Conchita Ciboulero, divette espagnole, à la fin de l’acte 2). Les airs charmants (parmi lesquels le célébrissime duo « Nous avons fait un beau voyage ») s’enchainent et vous trottent encore dans la tête le lendemain matin.
Ciboulette, jeune orpheline d’Aubervilliers, livre tous les jours ses légumes aux Halles. Elle y croise une marchande poisson devineresse à ses heures perdues (la grande Bernadette Lafont qui s’en donne à cœur joie en Madame Pingret), un jeune homme de bonne famille qui va s’amouracher de l’héroïne (Antonin), une bonne fée sous la forme de Monsieur Duparquet, plus connu dans sa jeunesse sous le nom de Rodolphe de la Bohème… Après quelques circonvolutions et improbabilités (conformément à la prédiction de Madame Pingret, Ciboulette trouvera son amant sous un choux, le soustraira à maîtresse, Zénobie, qui en blanchira d’un coup et recevra un faire-part de ce dernier sur un tambour de basque….) Ciboulette et Antonin s’aimeront, se perdront puis se retrouveront.
La production signée Michel Fau est de prime abord plutôt classique, avec ses décors (Bernard Fau et Citronelle Dufay) évoquant élégamment les Halles ou Aubervilliers, mais assaisonnée d’une bonne dose de loufoquerie. A ce titre on ne peut passer sous silence l’« interlude » « Mon rêve était d’avoir un amant » chanté (ou mugi?) en préambule au troisième acte par Michel Fau lui-même, comtesse de Castiglione improbable en robe vert émeraude (une des nombreuses robes extravagantes concoctées par David Belugou). Ce n’est pas vraiment Ciboulette mais c’est bien du Reynaldo Hahn (extrait du film La dame au camélia). Le metteur en scène n’occulte pas pour autant les moments plus mélancoliques, telle l’évocation de Mimi par Monsieur Duparquet.
Le premier tableau laisse pourtant un peu sur sa faim, la faute entre autres à des jeunes pousses de l’Académie de l’Opéra Comique, Eva Ganizate (Zénobie) et Ronan Debois (Roger, amant officieux de Zénobie) encore un peu tendres. On applaudira cependant leur diction parfaitement intelligible, qualité qu’ils partagent avec l’ensemble des chanteurs ce soir et avec le Chœur Accentus. De la troupe nouvellement créée on retient en particulier les interventions de Patrick Kabongo Mugenba en Auguste ou Victor. Jean-François Lapointe (Duparquet) lui-même semble gêné dans son premier air par une tessiture un peu basse. Le baryton canadien retrouve cependant rapidement des couleurs et du mordant, et sait nous émouvoir en amoureux blessé par la vie.
L’arrivée de Ciboulette dès le milieu du premier acte change la donne. Quelle fraîcheur chez la maraîchère de Julie Fuchs ! Moitié innocente, moitié bravache, cette jeune fille brûle les planches. Vocalement, son soprano est bien timbré, fruité mais sans acidité aucune. On sent que la révélation lyrique des Victoires de la Musique Classique 2012 prend du plaisir sur scène : difficile de résister à sa transformation en une Conchita Ciboulero débridée qui s’exprime dans un sabir pseudo-espagnol des plus comiques. Elle forme un couple charmant avec Julien Behr (« Ah si vous étiez Nicolas »). Le ténor, plus à son aise dans l’élégie que dans l’éclat, campe un Antonin idéalement bêta, mais sympathique.
L’Orchestre symphonique de l’Opéra de Toulon fait entendre de belles couleurs et sait retranscrire la vivacité de la partition sous la houlette de Laurence Equilbey, sans toutefois atteindre la transparence et la ciselure requises pour rendre pleinement justice à la délicate instrumentation de Reynaldo Hahn.
Comme le chanterait Ciboulette, ce n’est pas le paradis, c’est sa banlieue…On en sort tout sourire, avec un petit goût de printemps avant l’heure sur les lèvres.
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