En janvier 2015, le Palazzetto Bru Zane (PBZ) présentait Cinq-Mars en version de concert à Munich et à Versailles, ramenant à la vie l’oeuvre de Gounod non reprise depuis sa création en 1877. L’opéra de Leipzig prévoyait de son côté une véritable résurrection scénique (sous le titre Der Rebel des Königs) pour mai 2017, empruntant le Marquis de Cinq-Mars éprouvé de Mathias Vidal et faisant appel à Fabienne Conrad dans le rôle de Marie de Gonzague. Cette même équipe reprend le flambeau en ce début 2018 d’après la partition établie par le PBZ.
La mise en scène se veut traditionnelle ce qui sied à un livret dont les lieux et les situations ne permettent guère d’écarts. Les décors se composent de toiles peintes et de rideaux qui se lèvent pour révéler les lieux du drame, dont le grand escalier du Palais Garnier pendant la fête chez Marion Delorme, au deuxième acte. Les costumes chatoyants flattent l’œil et la chorégraphie de la scène de bal est plaisante. Pourtant, on tombe fréquemment dans le kitsch et dans certains travers risibles comme le chœur qui se dandine d’un pied sur l’autre. Toutefois, la direction d’acteur soigne les personnages et leur relation, c’est là le principal. Deux figurants, agents doubles, espions du Père Joseph, rôdent sur la scène permanence et permettent de raccrocher la convention du divertissement chez Marion, à laquelle il fallait bien que Gounod cédât, à l’intrigue politico-amoureuse. Le travail d’Anthony Pilavachi et de son équipe vient donc en parfait soutien des interprètes et leur permet de pousser plus avant la caractérisation de leur rôle, loin de la rigueur verticale d’une version concert avec pupitres.
© Tom Schulze
Le Marquis de Mathias Vidal rayonne toute la représentation durant. Projection et phrasé n’ont d’égal qu’une diction exemplaire. La voix surprend par son ampleur, ce qui confère au héros tout le charisme nécessaire, notamment lors du chœur des conjurés de l’acte trois. Difficile de succéder à Véronique Gens dont le métier de tragédienne a porté sa Marie de Gonzague sur des cimes. Fabienne Conrad, déjà entendue et saluée entre autres à Rouen, dispose pourtant de solides atouts : un port et une vraie présence scénique, un soprano au bel ambitus, riche et coloré même si le volume de la voix reste peu conséquent. Mais la Française pêche par une diction relâchée où les consonnes inintelligibles ne structurent pas les phrases et leur dynamique. Face au Cinq-Mars idéal de Mathias Vidal, ce handicap l’empêche de faire sentir tous les troubles et la passion de son personnage. D’autant que Jonathan Michie, passé sous les fourches caudines du Merola Program de San Francisco où l’enseignement des langues est remarquable, lui en remontre sur la diction et le phrasé, De Thou en égal frère d’arme de Cinq-Mars et voici un duo d’ami proches à s’y méprendre du couple Posa/Carlos. Si Marke Schnaible (Père Joseph) pâtit lui aussi de sa diction, le chant est bien conduit et le métal sombre et puissant. Danae Kontora (Marion Delorme), très agile dans le suraigu, et Sandra Maxheimer (Ninon de Lenclos) gouailleuse complètent cette belle distribution.
David Reiland et le Gewandhausorchester font leur cette partition charmante qui oscille entre opéra de caractère et grand opéra, scènes intimes nocturnes ou scènes de foule bruyantes. La dynamique que le chef maintient tout du long n’est pas étrangère au succès rencontré : la salle affiche complet et les bravos fusent lors des saluts.