Pour son ouverture de saison à la Philharmonie, l’Ensemble intercontemporain a encore vu les choses en grand. Conjuguant voix, électronique et spatialisation, le programme de cette soirée était placé sous le signe du spirituel.
Comme souvent depuis la nouvelle direction artistique, une pièce pour soliste(s) ouvrait le concert, au bord du silence et de l’obscurité : Stèle de Gérard Grisey ne requiert que deux percussionnistes, chacun affairé sur une grosse caisse. Malgré ces moyens réduits, c’est tout un monde sonore qui éclôt devant nous, grâce à un subtil jeu sur les types de baguettes (dures, douces, en rotin, en bois) et sur les différentes régions de l’instrument (centre, bord, cercle). La concentration de Samuel Favre et de Gilles Durot sert très bien cet étrange monument érigé par un homme fasciné par la question du sacré.
A l’ascèse de Grisey succède le style énergique et sanguin de Luciano Berio. Comparée aux classiques de la modernité que sont la Sinfonia ou Coro, Ofanìm est une œuvre plutôt rare. Inspirée aussi bien du Cantique des cantiques que du Livre d’Ezchiel, elle requiert deux ensembles de vents, deux chœurs d’enfants et une voix d’alto. Ces effectifs sont ensuite amplifiés et multipliés par un riche dispositif électronique.
La volatilité de l’écriture pour voix et pour chœur est bien sûr un vestige de l’étroite collaboration entre Berio et Cathy Berberian. C’est avant tout la Maîtrise de Paris, préparée par Edwige Parat, qui déploie toute une palette de techniques vocales surprenantes : onomatopées, sons chantés, criés, scandés, murmurés etc. Les deux solistes qui ouvrent l’œuvre ne sont qu’une illustration de l’infaillible intonation du chœur. La battue de Matthias Pintscher a cette dose de fébrilité nécessaire à l’univers sonore grouillant de Berio. Heureusement, elle sait se faire limpide dès qu’il s’agit de donner des départs aux jeunes chanteuses.
Restée patiemment assise au fond de la scène pendant vingt-cinq bonnes minutes, Noa Frenkel n’intervient qu’à la toute fin, dans une amère lamentation qui sollicite avant tout le registre extrême grave. La voix de poitrine de la chanteuse est d’un volume remarquable, et sa couleur chaude mais rauque convient tout à fait à l’esprit de cette déploration. Par contraste, le registre médian (en voix de tête) paraît plus pénible, bien que toujours très timbré. Il convient de rendre hommage à deux solistes plus discrets : la clarinette volubile de Martin Adámek, élégamment reprise par l’électronique, et l’impressionnant solo de trombone de Mathieu Adam.
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Composée à vingt-deux ans seulement, Hiérophanie de Claude Vivier (ici en création française) n’a cure de tous les codes qui régissent habituellement le concert classique. Puisque cette œuvre est avant tout un délire personnel, sans représentation du vivant du compositeur, rien n’est trop beau ni trop fou pour un artiste qui trouve ici les premiers éléments de son langage poétique et affectif. Il faut tout de même s’avouer assez circonspect. Malgré l’élégante mise en espace de Silvia Costa, et le jeu (instrumental comme théâtral) très investi des solistes de l’Ensemble intercontemporain, on a peur de ne pas saisir grand chose de ces mignonnes facéties, toujours à la frontière ténue de la naïveté et de l’idiotie. Tout cela n’est pas sans rappeler la deuxième scène du Samstag aus Licht de Stockhausen (donné il y a quelques mois à peine dans la même salle), mais c’est comme si Vivier n’avait pas souhaité conserver la rigueur formelle et le découpage minutieux du temps de celui qui fut son professeur.
Au milieu de tout ce joli désordre, on est ravi de découvrir la voix de Marion Tassou. Dommage que les timbres instrumentaux perçants ne laissent pas poindre davantage l’hymne delphique qui nous fait deviner un timbre frais et lumineux. Heureusement, l’œuvre prend un véritable tournant avec le Salve Regina, et se clôt sur une touche très poétique. On y apprécie pleinement la présence et la voix de la soprano qui enveloppent chacun des musiciens dans un sommeil d’enfant, avant que le noir complet ne se fasse dans la salle.