Avec deux éditions consacrées à Claude Vivier, le Festival d’automne à Paris ne pouvait pas se passer de programmer Journal, sans doute l’œuvre la plus emblématique du compositeur. Alors que Hiérophanie donnée en création française il y a quelques mois à la Philharmonie peinait à convaincre, on découvre ici l’œuvre d’un compositeur au faîte de sa carrière. La multitude d’influences dont se nourrit Vivier (Lewis Caroll, Pinocchio, la Bible et autre textes sacrés) se fond en une pièce cohérente, mais qui ne perd rien en vivacité et en émotion. Depuis ses premiers essais en la matière vocale, Vivier semble avoir trouvé son chemin de compositeur. En prélude à cette œuvre-monde, la pianiste Caroline Cren défendait avec fougue et conviction l’ébouriffant Shiraz, composé la même année. Dans cette brillante toccata qui n’est pas sans rappeler le Messiaen des Regards sur l’Enfant-Jésus, des sections d’une virtuosité vertigineuse alternent avec des mélopées issues directement de l’Orient qui exerça une profonde influence sur le compositeur
Tout comme Shiraz, Journal est une partition redoutable à plusieurs titres. Le livret concocté par Vivier nécessite des chanteurs polyglottes, puisqu’il faut bien six langues, dont une inventée de toutes pièces pour chanter un amour cosmique. Il faut également de bons rythmiciens, le langage étant complexe, et les longues plages d’unissons ne pardonnant pas la moindre imprécision. Les interventions poétiques de Maxime Echardour aident à cadrer le discours, mais les chanteurs n’en demeurent pas moins livrés à eux-mêmes. Il faut enfin des choristes à l’intonation sûre, car la musique est presque modale, mais les contours mélodiques sont souvent inattendus, voire escarpés. On retrouve bon nombre de ces qualités dans les chanteurs de ce soir, mais il faut avouer que l’on ressent une certaine réserve sur le plateau. Quelques imprécisions rythmiques (faux départs, flottements) se font sentir, et le son des Cris de Paris n’est pas aussi plein qu’à l’habitude. Reconnaissons cependant qu’une bonne partie de la faute est à rejeter sur l’acoustique de la salle (affreusement sèche, et assez peu appropriée à des concerts vocaux) et sur l’écriture chorale de Vivier (inhabituelle, voire maladroite dans la prosodie).
Geoffroy Jourdain insuffle à son ensemble l’énergie nécessaire pour libérer l’esprit fantastique de l’œuvre, malgré une battue assez rigide, de rigueur hélas dans une partition d’un tel acabit. Des interventions solistes, nous retiendrons en particulier les vocalises souples du ténor Safir Behloul, et le soprano agile et ductile d’Amandine Trenc.
C’est avec un « Come, let’s go » énigmatique et narquois que se conclut le portrait d’un compositeur dont les passerelles entre la vie et l’œuvre continuent de fasciner aujourd’hui.
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