Pour reprendre la question posée aux suivantes de la reine d’Egypte par les hommes qui pénétrèrent dans son tombeau, selon Plutarque comme selon Shakespeare, on pourrait se demander, après avoir assisté à la version de concert de la Cléopâtre de Massenet salle Cortot, si l’exécution en fut belle et digne d’une princesse issue de tant de rois illustres.
Vouloir présenter Cléopâtre à Paris est une bonne idée, dans la mesure où l’œuvre n’y a guère été entendue : montée en 1919 (cinq ans après la première mondiale à Monte-Carlo), elle n’y est revenue qu’en 2014. Ultime œuvre de Massenet, elle n’a jamais pu s’imposer, seul l’air « J’ai versé le poison » bénéficiant d’une relative notoriété. Cet opéra a pourtant un autre titre de gloire, du fait de son instrumentarium : pour le deuxième tableau du deuxième acte, le maître stéphanois fait appel à dix darboukas, soit une incursion dans un univers sonore aussi exotique que le gamelan balinais qui avait charmé Debussy une trentaine d’années auparavant.
Les moyens de le courageuse association Res Lyrica étant limités, il n’était évidemment pas question de montre l’œuvre avec un orchestre et des chœurs. Malgré la qualité de la réduction pour piano, brillamment défendue par Irina Kataeva, qui souligne à juste titre toute la sensualité de la partition, c’est une excellente idée que de lui avoir adjoint, pour certaines scènes, les (très) bons et loyaux services du percussionniste Marc Pujol pour accompagner les scènes de ballet.
Non moins excellente idée que d’avoir fait appel au danseur chinois Ziyi Li, dont la grâce féline et la présence physique évite que ne deviennent trop abstraits certains moments de l’œuvre. On sera plus circonspect quant aux créations visuelles de Silvère Jarrosson, qui évoquent de manière assez floue le décor de chaque acte. Difficile d’en juger vraiment, dans la mesure où le fond incurvé du plateau de la salle Cortot se prête très mal à la projection d’images.
Reste la distribution réunie pour l’occasion. Difficile, pour une équipe de jeunes chanteurs, de succéder aux gosiers illustres que Massenet avait en tête en composant Cléopâtre. Si méritante qu’elle soit, force est de dire qu’elle ne se révèle pas tout à fait la hauteur des exigences de l’œuvre. C’est surtout pour le personnage de Marc-Antoine que le bât blesse. Certes, Guilhem Souyri a fière allure, mais son ramage est loin de se rapporter à son plumage : la voix est grisâtre, manque cruellement de corps, et le chanteur détimbre souvent. Dans la même tessiture, Arnaud Masclet fait bien meilleure impression dans les deux rôles très brefs qu’il cumule. Complétant le trio masculin, Paul Gaugler campe un Spakos bien plus ardent que ne l’était Luca Lombardo à Marseille en 2012, même si son émission reste un peu étrange, avec une transformation fréquente des voyelles dans l’aigu (« la galère » devient « la galare », par exemple).
Chez les dames, on regrette que Claire-Elie Tenet soit manifestement enrhumée, car le timbre est charmant et la voix bien conduite. On aimerait trouver la même fermeté chez Véronique Chevallier, dont l’Octavie est entachée d’un vibrato un peu trop présent. Quant au rôle-titre, Paola Mazzoli est bien la mezzo pour qui le rôle est écrit – il fut adapté pour soprano après la mort du compositeur, Lucy Arbell n’ayant pu faire respecter les volontés du maître qui aurait voulait l’imposer pour créer l’œuvre – et elle parvient à faire croire au personnage pervers présenté par les librettistes. Les années lui permettront sans doute de perfectionner encore sa prononciation de notre langue.
Entreprise louable, donc, mais puisque l’encore plus rare Ariane se profile à l’horizon 2020, ce dont on se réjouit par avance, on espère qu’Hervé Oléon, fondateur de Res Lyrica et directeur artistique de ce concert, saura rassembler une distribution un peu plus homogène.