Il y a décidément une magie commune aux Festivals d’été où des lieux atypiques, parfois improbables, sont investis par quelques-uns des meilleurs musiciens de la scène mondiale, en début de nuit. Le 29 juillet dernier, Diana Damrau et Nicolas Testé, habitués des plus grandes scènes, ont offert un récital touchant dans la petite église du Carme à Peralada, accompagnés au piano par Helmut Deutsch. Excusez du peu.
Si fil le conducteur choisi – Amor i vida – permettait sans doute de programmer à peu près n’importe quel air d’opéra, le programme faisait la part belle au lied mais aussi à la comédie musicale et à l’opérette. Entre le grief du manque de cohérence et le plaisir assumé de l’éclectisme, nous choisirons le second. D’autant que la soprano a beaucoup à offrir dans chacun de ces styles et que le pianiste sublime même les partitions a priori les moins riches. Diana Damrau, que l’on connaît surtout pour les grands rôles de coloratures, ouvre la soirée par une pièce de circonstance : « L’invitation au voyage », poème de Charles Baudelaire mis en musique par Henri Duparc. D’emblée, on sait que l’on écoute une grande artiste. Elle s’adapte à l’acoustique particulière du lieu et offre une interprétation qui oscille entre intériorité et épanchement, entre confidentialité et lyrisme. On retrouvera cet équilibre parfait, cette intelligence musicale indéniable, dans des pièces pas moins intérieures mais certainement techniquement plus virtuoses. Son « Casta diva » est un bijou où, passé un court étonnement lié à l’extrême pureté du « a » de « Casta », placé au creux du palais (le même que le « a » de « Danced » dans la dernière pièce, qui surprend beaucoup moins dans une prononciation à l’américaine de l’anglais que dans une interprétation en italien), l’on suit une ligne de chant magnifiquement déployée, sans à-coups. Une Norma idéale en somme, rôle que la soprano n’a d’ailleurs jamais interprété intégralement. Dans « How Sad No One Waltzes Anymore », on oublie presque la chanteuse lyrique. La voix se fait plus rocailleuse, mais toujours timbrée, et un pas de dance nous rappelle que la musique est avant tout un discours joyeux. En clôture de récital, son « I Could Have Danced All Night » est jubilatoire et confirme le talent d’une artiste complète dont la voix et la technique sont toujours au service de l’interprétation.
Nicolas Testé est très certainement moins à l’aise dans la variété des répertoires et, si l’opéra s’impose comme une évidence pour sa voix, sa « Vie antérieure » (Duparc) laisse dubitatif. Beaucoup trop lyrique et tranchant, certainement trop large pour le lieu et sa réverbération à laquelle il peine à s’adapter. Il ne chantera d’ailleurs pas le « Oh, What a Beautiful Morning » (Rodgers et Hammerstein) pourtant annoncé et n’offrira plus que des airs d’opéra. Après le Duparc, l’extrait de La Reine de Saba est presqu’accueilli avec soulagement. L’opéra est évidemment son lieu naturel. Néanmoins le vibrato est large et, s’il permet des graves nourris, il est parfois si présent qu’il pose des problèmes de justesse. On assiste à un très beau « Elle ne m’aime pas… je dormirai sous les voûtes de pierre » (Philippe II, Don Carlo). Le début est un peu voilé, comme dans un rêve (c’est ce que réclament le texte et la partition), mais la suite se déploie avec une très belle fluidité. Pour son type de voix, le « Lyubvi vsye vozrasti pokorni » semble une évidence. Pourtant, il négocie mal les changements de nuance et, ce qui pouvait sembler pertinent dans Verdi, sonne ici comme une limite. Les piani sont cantonnés au haut du masque et, quand il change de nuance, il semble trop brusquement ôter une sourdine (à la manière d’un trombone).
© Miquel González-Shooting
Au piano, Helmut Deutsch est sublime. À vrai dire, les adjectifs manquent pour exprimer la délicatesse de son jeu, l’intelligence de son accompagnement, l’homogénéité du son. L’introduction du « Casta diva » est aérienne, la sophistication des Duparc est rendue en un legato qui intègre miraculeusement le mouvement inquiet de la partition, l’accompagnement du Verdi semble soudainement beaucoup plus riche et intéressant que ce que ne laissent soupçonner bien des interprétations, orchestrales ou non.
Petit miracle estival.