L’Opéra de Montpellier renoue donc avec la musique baroque en invitant à demeure, après Les Talens Lyriques, Le Concert Spirituel et une éclipse de plusieurs années, l’ensemble Les Ombres, dont la direction artistique est assurée par Margaux Blanchard (viole de gambe) et Sylvain Sartre (flûte traversière). En ce mois d’octobre où se sont succédé Les Talens Lyriques, Les Paladins de Jérôme Corréas (avec Sandrine Piau) et le claveciniste Pierre Hantaï, Les Ombres proposent, après un concert consacré aux quatuors parisiens de Telemann, trois représentations autour du thème de La tempête. Shakespeare oblige, le premier, donné ce 23 octobre, fait la part belle à Purcell, avec des extraits de The tempest, The Indian Queen, King Arthur, The Fairy Queen, Dido and Aeneas, Dioclesian et Oedipus. Mais 2014 signifie aussi Rameau et il vient en hors d’œuvre et en trou normand, Les Boréades l’emportant naturellement sur Les Indes Galantes par cinq extraits à un.
Donner sans surtitres une majorité d’airs chantés en anglais à un public qui ne le comprend pas forcément peut sembler risqué, mais il semble que le plaisir du son ait suppléé à celui du sens, à en juger par l’enthousiasme au moment des saluts. Le spectacle commence et se termine par la vision des quinze musiciens alignés, de noir vêtus, en fond de scène. Ils rejoignent au début du concert la fosse surélevée grâce à trois escaliers, un central et deux latéraux, et ils la quitteront l’un après l’autre, comme dans la Symphonie dite des Adieux de Haydn pour retrouver leur place initiale. Cette organisation du concert qui théâtralise la présence des instrumentistes avant et après la musique est due à Olivier Collin, qui règle par la suite les entrées ou la cohabitation des chanteurs, en utilisant au mieux l’espace scénique dont la fosse devient le prolongement. Est-ce lui aussi qui parfois leur fait tomber la veste ? Cela suffit à caractériser un personnage. Cette imagination à l’œuvre est étayée par les éclairages très maîtrisés de Nathalie Perrier, quelques projections d’images et la création de champs de focalisation à géométrie variable (par le jeu des panneaux noirs latéraux et verticaux) dont l’instabilité s’accorde profondément au thème de la soirée.
Marc Callahan et Jean-François Lombard © Marc Ginot
Si çà et là quelques tempi semblent un peu complaisamment étirés et quelques tenues des cordes un peu trop acides, tous les musiciens cueillent les occasions que leur donne le programme de mettre en valeur une belle virtuosité. Ils ont pour partenaires le ténor Jean-François Lombard et le baryton Marc Callahan, qui est annoncé souffrant et en effet la voix est d’abord comme étouffée. Cependant elle se réchauffe rapidement et l’on ne peut qu’admirer, chez les deux interprètes, la probité stylistique et la clarté de l’élocution. Conçu comme un tout, de l’obscurité initiale à l’obscurité finale, ce concert-spectacle ne peut offrir de bis. Calibré à quatre-vingt minutes, il propose un produit de qualité où la faiblesse manifeste des moyens financiers est palliée par la force des idées, ou, si l’on préfère, par celle du talent. A l’évidence Les Ombres n’en manquent pas. En résidence à Montpellier ces Ombres ne sont plus errantes : on leur souhaite d’y être heureuses !