Le concours de chant de Genève se distingue, parmi d’autres, car les vainqueurs sont déjà connus avant le début du concert final. Pour cette 78e édition ils étaient trois, sur 71 inscrits, et leur classement dépendait de cette prestation décisive, classement déterminant pour les prix officiels et les sommes correspondantes, respectivement 20000, 12000 et 8000 francs. L’attente était grande et le public nombreux dans la salle du Grand Théâtre.
Première à chanter, la Polonaise Barbara Skora est une séduisante sirène blonde qui pourrait être la petite fille de Geneviève Page. Le petit film qui l’a présentée laissait entendre un timbre capiteux. Aussi est-on déçu par une projection faible et une voix qui manque de rondeur, dans l’air des lettres de Werther. Le « Parto, parto » de Sesto dans La Clemenza di Tito est très musical mais la vocalise manque de délié. Quant à la cavatina de Rosina du Barbiere elle reste jolie quand elle devrait être incisive. On saura plus tard qu’entre la demi-finale et la finale a surgi un souci de santé et qu’elle avait songé à ne pas se présenter. Patricia Petibon, la présidente du jury, saura trouver les mots pour la réconforter lors de la remise des prix.
Lui succède Jungrae Noah Kim, baryton coréen récent vainqueur du Concours du Belvédère. Sa pratique de la scène à l’Opéra Studio de Zurich lui a donné un aplomb manifeste, et il semble posséder une grande capacité de concentration, à le voir rentrer en lui-même pour passer d’un air à l’autre. Chantant successivement en russe, en italien et en allemand, il déploie une voix solide et souple. Qu’il exprime le rêve de Yeletsky dans « Ya vas Lyublyu », la colère du comte dans « Hai già vinta la causa » ou la nostalgie de Fritz dans « Mein Sehnen mein Wähnen » de Die tote Stadt, il est d’une grande justesse expressive et nuance avec une belle musicalité. Nous l’aurions bien vu premier prix exæquo.
Dernière à apparaître, Chelsea Marilyn Zurflüh, qui a été aussi membre de l’Opéra Studio de Zurich, est une autre sirène, brune et souriante. Sa voix paraît aussitôt plus grande, mieux projetée que celle de sa concurrente, manifestement elle est en pleine santé. Et elle a eu de surcroît l’intelligence de composer un programme où elle ne doit à aucun moment lutter contre l’orchestre, qui devient un écrin. Si l’air de Cléopâtre « Da tempeste il legno infranto » laisse un peu sur sa faim, jusqu’à la reprise où les ornements valorisent la ductilité et l’étendue de la voix, celui de Pamina « Ach, ich fühl’s » captive par une intensité expressive dépourvue de pesanteur, proprement touchante, avant les pyrotechnies de la scène « Ah, tardai troppo…O luce di quest’anima » tirée de Linda de Chamounix. Quelques reflets métalliques dans l’extrême aigu quand il est donné en force ne nuiront pas à son triomphe, puisqu’elle remporte le grand prix et le prix du public, ainsi qu’un engagement à paraître sur la scène du Grand Théâtre lors d’une prochaine saison.
En prélude à l’exhibition des concurrents, l’orchestre de la Suisse Romande, sous la direction d’Alevtina Ioffe, avait interprété avec la verve et la finesse nécessaires l’ouverture des Nozze di Figaro. Les musiciens ont soutenu et accompagné au mieux les chanteurs et la nombreuse assistance les a chaleureusement remerciés par de longs applaudissements.