Le concert d’ouverture de la nouvelle saison de l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège s’annonçait exceptionnel. A l’affiche : une légende vivante du piano, Menahem Pressler, et un monument trop rare à la scène, le Messe glagolitique de Janáček. Le tout sous la direction du chef maison, Christian Arming. Verdict ? Promesses (en grande partie) tenues.
La soirée commence au Nord, avec une puissante et vibrante interprétation de Finlandia de Sibelius. Une belle mise en voix pour le Chœur Philharmonique de Brno, qui amène la lumière avec lui. Deuxième étape : Vienne, pour l’ultime concerto de Mozart. Pressler, quatre-vingt onze printemps derrière lui, ne possède hélas plus la dextérité digitale nécessaire pour mettre toutes ses idées à exécution. Qu’importe finalement cette fragilité bien compréhensible, le poète demeure – son fantôme, parfois. Dommage que, hors le Larghetto, moment de magie pure, l’orchestre, des fourmis dans les jambes, lui réponde avec une impatience que le vénérable soliste ne peut plus satisfaire.
En seconde partie, donc, la glagolitique (du nom de l’alphabet proto-cyrillique qui servait à noter le vieux-slave) de l’auteur de Jenůfa, agnostique devant l’Eternel (si l’on peut dire…). Un texte forcément sacré, mais une œuvre patriotique – panslave, plus précisément – qui tend souvent vers l’opéra. Et le solide quatuor vocal de ne pas perdre une occasion de théâtraliser le propos. La première intervention, implorante, de la généreuse Melanie Diener donne le ton : lyrisme à tous les étages et rendu parfaitement intelligible de chaque mot (mots d’une langue morte que l’on aura rarement fait vivre à ce point). Sur la même longueur d’onde, Domagoj Dorotić ne déçoit pas non plus. Que de promesses pour de futurs rôles janáčekiens, écriture pour laquelle sa voix paraît taillée ! Comme on s’y attend, le toujours très solide Peter Mikuláš, spécialiste du morceau – plus de vingt qu’il roule sa bosse cette partition sous le bras – domine aisément sa partie. Peu importe que Dagmar Pecková soit un rien en-dessous question puissance ; le fruité s’y trouve, et la mezzo n’est de toute façon que très peu solicitée.
Pour mener tout ce monde à la baguette, un maestro qui flirte avec ici les plus grands. Avec une autorité impressionnante mais jamais péremptoire, l’ultra-précis Christian Arming enjambe facilement les chausse-trappes de cette page redoutable (quel défi, pourtant, au niveau de l’équilibre sonore et des perspectives !). Rien des couleurs, des éructations ni de l’articulation voulues par le compositeur ne lui échappe. Espérons que ses affinités évidentes avec la musique de Janáček trouvent rapidement d’autres occasions de s’exprimer. Rares sont aujourd’hui les chefs à la (comp)rendre si bien. L’orchestre, chauffé à blanc (les vents, admirables), et le chœur, actuellement inégalable dans cette œuvre, répondent au quart de tour. La messe est dite. Comme rarement.