Il était une fois à la cour d’Eisenstadt un petit musicien qui se nommait Kleinheinz… Cela commence comme une légende offenbachienne, et c’est bien d’un mythe qu’il s’agit, ou d’une mystification. Franz Xaver Kleinheinz (1765-1832) vient de se révéler comme étant le véritable auteur de la Messe « du sacre de Napoléon » jusque-là attribuée à Méhul et dûment remontée par le Palazzetto Bru Zane dans le cadre de l’hommage qu’elle rend au compositeur lorrain en prévision du bicentenaire de sa mort l’année prochaine. Au terme d’une longue enquête collective, la musicologue Rita Steblin l’a attribuée à ce pianiste et kapellmeister autrichien. Présentée comme de la main de Méhul dès les années 1820, la Messe en la bémol majeur sera régulièrement interprétée comme telle entre 1879 et 2004, pour honorer le compositeur supposé ou le prétendu destinataire de l’œuvre. Composée par Kleinheinz pour le prince Esterhazy, la messe ne fut jamais interprétée ; rangée dans les archives du prince à Eisenstadt, elle fut copiée et vendue sous le nom de Messe du couronnement de Napoléon. Très vite, plusieurs voix s’étaient élevées pour dénoncer la supercherie, et à intervalles réguliers, des spécialistes prirent soin de la signaler. En vain ! Au XIXe siècle, où Joseph restait une œuvre appréciée et interprétée – ce n’est hélas plus le cas aujourd’hui –, la découverte d’une œuvre supplémentaire de Méhul avait de quoi susciter l’intérêt, pour des raisons patriotiques.
Pour la première fois depuis bien longtemps, cette messe était donnée sous le nom de son véritable auteur, dans le cadre de la 28e édition du Festival de Laon. Avec sa cathédrale, la préfecture de l’Aisne a la chance de bénéficier d’un lieu majestueux à l’acoustique excellente, contrairement à tant d’autres édifices religieux où donner un concert semble la plus mauvaise idée qui soit. Et en décidant depuis 2011 de soutenir l’orchestre Les Siècles, le département a fait un non moins excellent choix, comme le montre la première partie de la soirée, exclusivement symphonique. Tout commence avec une œuvre qui est vraiment de Méhul, et qui a vraiment été composée pour Napoléon, à l’occasion de son mariage avec Marie-Louise en 1810 : l’ouverture de l’opéra Amphion ou les Amazones. Ecrite entre 1805 et 1807, la Cinquième symphonie de Beethoven est bien l’œuvre d’un contemporain de Méhul, mais ne saurait évidemment lui être comparée en termes de notoriété. Cependant, par la vigueur et l’énergie que déploie François-Xavier Roth pour la diriger, on a le sentiment d’entendre pour la première fois cette partition presque trop célèbre. La finesse des traits, le coloris subtil de certains passages, tout cela contribue à une étrange impression de surprise.
Après un court entracte, le toujours excellent Chœur de la Radio flamande préparé par Hervé Niquet et les quatre solistes vocaux font leur entrée pour la messe de Kleinheinz dite « de Méhul ». Et il s’avère que c’est une belle messe, souvent proche de Mozart, mais avec des inventions mélodiques parfois fort bien venues. Faut-il s’attendre à voir les œuvres de Kleinheinz retrouver le chemin des concerts dans les années à venir ? En tout cas, la messe sera donnée plusieurs fois cette saison, en octobre à Bonn, en janvier à Grenoble, en mars à Nîmes et à Versailles, avec les mêmes effectifs. Evidemment, la ligne vocale destinée à la soprano (peut-être faudrait-il dire « au dessus », puisque la prononciation latine adoptée est celle en vigueur est conçue pour flotter au-dessus des autres, mais quand celle-ci s’appelle Chantal Santon, qui semble n’avoir qu’à ouvrir la bouche pour que les sons se projettent sans effort, la tâche est rude pour ses collègues. Comment faire pour exister aux côtés d’une chanteuse à l’autorité aussi évidente ? La mezzo Caroline Meng s’en tire plutôt bien, et forme avec sa consœur un bel alliage de voix pour les différentes parties en duo. Un autre qui parvient tout à fait à exister, c’est le baryton-basse canadien Tomislav Lavoie, beau timbre et diction incisive, qu’on retrouvera bientôt dans la très attendue Proserpine de Saint-Saëns. En revanche, le ténor Artavazd Sargsyan ne semble pas avoir bien pris la mesure de l’espace où il se produit et des effectifs instrumentaux et vocaux se produisant autour de lui, car ses interventions sont hélas difficilement audibles, presque toujours couvertes par l’orchestre ou par les autres solistes. C’est dommage, car lorsqu’on l’entend, la voix est belle, mais peut-être le problème sera-t-il corrigé pour les prochaines étapes de la tournée.