Nadine Sierra et Pretty Yende ont mis le feu à la Philharmonie ce lundi soir avec un programme astucieux où le bel canto côtoie l’opéra français et la comédie musicale américaine pour la plus grande joie du public qui leur a réservé une ovation enthousiaste et chaleureuse au salut final.
C’est Nadine Sierra, qui ouvre la soirée. Très élégante dans une superbe robe blanche plissée, la soprano américaine propose une Norina mutine et facétieuse à souhait. Depuis les représentations de Don Pasquale en 2019 à Garnier, le medium s’est étoffé et l’aigu a gagné en puissance et en rondeur, qualités qui lui permettront d’incarner une Violetta ébouriffante dans la grande scène de l’acte un de La traviata, sans doute le point culminant de cette première partie.
Auparavant Pretty Yende est apparue dans une robe rose et bleu scintillante et n’a pas manqué de conquérir la salle en incarnant une fille du régiment pleine d’humour avec une voix solide et un aigu facile. Après quoi, les deux sopranos ont offert un magnifique duo tout en nuances, extrait de l’Elisabetta rossinienne, dans lequel leurs timbres s’unissaient en parfaite harmonie. Puis, chacune à son tour a proposé une grande scène d’opéra belcantiste avec récitatif, aria et cabalette. Pretty Yende s’est lancée dans la scène finale de La Somnambule, l’un de ses chevaux de bataille. Force est de reconnaître pourtant que le récitatif n’est pas très habité. L’air, en revanche, rempli de nostalgie est particulièrement touchant mais le contraste avec la cabalette dans laquelle le personnage exprime son bonheur retrouvé et sa joie de vivre n’est pas assez marqué. Notons tout de même que le second couplet est ornementé de jolies notes piquées et que l’aigu final est tenu sans difficulté.
La prestation de Nadine Sierra dans La traviata se situe un cran au-dessus. Dès le récitatif, déclamé avec beaucoup de sensibilité, le personnage est incarné. « Ah fors’è lui », délicatement mélancolique, séduit par son art du legato et ses nuances, avant de s’achever sur une cadence inédite particulièrement harmonieuse. Enfin la cabalette « Sempre libera » doublée et ornementée d’impeccables vocalises, nettes et précises, témoigne d’une parfaite maîtrise de la colorature, tandis qu’en coulisses Pretty Yende chante les phrases du ténor. Le contre-mi bémol final, lancé à pleine voix et longuement tenu, met la salle en délire. Une autre grande scène, à deux cette fois, vient clore la première partie, il s’agit du duo « Mira o Norma » dans lequel la complicité entre les deux chanteuses fait merveille en particulier dans la cabalette « Si, fino all’ore estreme » qui finit dans un festival de vocalises éblouissantes.
Pretty Yende et Nadine Sierra © DR
En seconde partie, le duo des fleurs extrait de Lakmé est sans doute un clin d’œil de la part de Pretty Yende à l’origine de sa carrière. En effet, alors qu’elle était encore adolescente, c’est en écoutant par hasard cette page à la télévision qu’est née sa vocation. Le programme se poursuit avec deux héroïnes d’opéras français, Juliette et Olympia qui permettent à leurs interprètes de faire assaut de coloratures acrobatiques. Suivent deux pages de musique américaine, un air de Bernstein en espagnol qui sied idéalement au timbre de Nadine Sierra et le fameux « I long to be a prima donna » de Victor Herbert qui permet à Pretty Yende de donner libre cours à sa fantaisie. « I feel pretty » extrait de West Side Story, conclut avec humour le programme. Cette page que Yende interprète régulièrement en concert est ici chantée par Sierra toute seule jusqu’au moment où la soprano sud-africaine surgit et proclame « I am pretty ! » le tout finissant dans un grand éclat de rire général.
Au pupitre Giacomo Sagripanti propose une direction souple et énergique de ces morceaux d’horizons divers dont il tente, la plupart du temps avec bonheur, de respecter le style propre à chacun tout en se montrant très attentif aux chanteuses. Qu’il soit amplement remercié pour l’originalité des pages orchestrales qu’il a choisi d’intercaler au cours du programme, l’ouverture de La Perle du Brésil de Félicien David, Sevilliana de Massenet et le magnifique pas de six, extrait de Guillaume Tell.
En bis nous aurons droit à deux nouveaux duos puisés dans le répertoire léger, « La Vie en rose » en hommage sans doute au public français et un pot-pourri de standards américains extraits de films ou de comédies musicales dans lequel nous aurons reconnu entre autres « As time goes by », « Moon river », « Edelweiss » et l’incontournable « Over the rainbow ». Mais la salle debout et chauffée à blanc en réclame davantage alors chef et musiciens entonnent un « Happy birthday to you » retentissant à l’attention de Pretty Yende dont c’était l’anniversaire.