Chaque adage en son temps… La maxime « à quelque chose malheur est bon » semble vouloir aujourd’hui s’appliquer à UNiSSON. Sans la pandémie qui depuis plus de six mois maintenant ébranle jusqu’en ses fondements le monde de la culture en général, de l’opéra en particulier, cette association d’artistes lyriques indépendants aurait-elle vu le jour ? Cet élan de solidarité envers une profession en péril dont la crise sans précédent que nous traversons a mis à nu les fragilités aurait-il été possible ? Un fonds de dotation pour venir en aide aux artistes en difficulté, une aide juridique et administrative pour faire face à toutes les situations – précarité, maladie, parentalité… –, une cellule d’écoute en cas de harcèlement ou discrimination dans un milieu où la parole se libère peu à peu : autant d’aides jusqu’alors inexistantes, dont bénéficient les 240 adhérents qui à ce jour ont rejoint UNiSSON.
La soirée salle Favart, transmutée en matinée pour cause de couvre-feu, s’inscrit dans cette démarche. L’intégralité de la recette est reversée à l’association pour la réalisation de ses missions. La soixantaine d’artistes réunis sur scène donne de la voix bénévolement. Il ne s’agit pas d’un concert comme les autres, jusqu’au programme qui au lieu d’égrener des airs d’opéra, propose des ensembles de deux à quatorze chanteurs – l’insensé concertato du Viaggio à Reims. Dans la salle, beaucoup de visages connus bien que masqués : Olivier Mantei évidemment, Alexander Neef et notre ministre de la Culture, Roselyne Bachelot, venue en personne apporter son soutien à l’initiative.
Les applaudissements du public avant même que la musique commence sont une première déclaration d’amour aux artistes. Si tant est qu’ils en aient douté, ils nous sont nécessaires. Nous avons besoin d’eux. Ils nous le confirment une nouvelle fois. Leur joie de s’ébattre sur scène alors que certains d’entre eux sont condamnés au silence depuis le début de l’épidémie est communicative. Le Pezzo a 14 voci du Viaggio débute dans une réjouissante bousculade. Le ton est donné. Les numéros s’enchaînent sans entracte dans la bonne humeur, sans l’appréhension qui parfois bride l’exercice du récital.
© Christian Lartillot
Certains de ces chanteurs nous sont plus familiers que d’autres quand bien même ils aient choisi d’endosser pour nous surprendre des rôles où on ne les a pas encore – ou pas souvent – entendus : Benjamin Bernheim en Mantoue ; Stanislas de Barbeyrac en Hoffmann ; Eve-Maud Hubeaux en Carmen, elle qui vient de triompher à Vienne en Eboli aux côtés du Don Carlos de Jonas Kaufmann ; Mathias Vidal, présent à plusieurs reprises, en Don Ramiro de La Cenerentola ; Chantal Santon-Jeffery en Maréchale et Sabine Devieilhe en Sophie du Rosenkavalier ; Chiara Skerath en Susanna face au Comte de Florian Sempey dans le sextuor des Nozze du Figaro, etc. D’autres font sinon leurs premières armes, du moins leurs débuts parisiens. D’autres encore ont vu une carrière interrompue à l’allumage par les règles de distanciation qui entravent la vie des théâtres. D’autres enfin apportent à cette jeunesse en fleur le contrepoint de l’expérience. Les citer tous réduirait le catalogue de Leporello à un mouchoir de poche, mais mentionnons tout de même Philippe Do, qui en plus de produire la soirée, donne la réplique en Samson à la Dalila de Clémentine Margaine.
S’il faut choisir un moment fort parmi les nombreux donnés à vivre en deux heures de spectacle, signalons Le bonheur d’aimer, un quatuor commandé par UNiSSON au compositeur Arthur Lavandier où la partie de soprano est assurée par Chloé Briot, récemment placée sur les charbons ardents de l’actualité.
La soirée se conclut dans la gaieté la plus débridée avec le finale du 3e acte de La Vie parisienne. Tous les chanteurs sur scène forment le chœur derrière les solistes, tandis que les trois pianistes accompagnateurs du concert –Nathalie Steinberg, Selim Mazari, Cécile Restier – jouent à six mains un cancan en état d’ébriété. Vient alors à l’esprit un autre adage, qui donne son titre au compte rendu de ce concert retransmis sur France Musique le 31 octobre.
Pour soutenir UNiSSON, il est possible de faire un don par chèque (Association UNiSSON c/o Marchal, 163 rue Pelleport, 75020 Paris), par CB en ligne ou par virement. Plus d’informations sur www.unisson.net.