Difficile de ne pas se joindre au concert de louanges accompagnant le cru Cecilia Bartoli 2018 – un nouvel album Vivaldi – et la série de concerts qui accompagne sa sortie.
Une annonce en début de spectacle nous fait pourtant craindre le pire. Pas de panique, il s’agit simplement de deux précisions : la chanteuse dédicacera son disque à l’issue du concert et, plus inhabituel, il est demandé au public d’attendre la fin de chaque partie pour applaudir. De fait, les morceaux s’enchaînent sans temps mort, par le biais d’interludes instrumentaux au clavecin. Si certains enchaînements semblent quelque peu artificiels, d’autres paraissent couler de source : la charmante La Silvia sylvestre, avec chants d’oiseaux, découle ainsi naturellement du premier mouvement du Printemps ; la colère de Zanaida tirée d’Argippo semble émerger de l’orage d’Eté ou encore le « Gelido in ogni vena » sépulcral, extrait de Farnace, trouve une suite naturelle dans l’Allegro non molto de l’Hiver. Ce procédé a pour mérite certain de favoriser la concentration du public et évite le côté parfois haché des récitals.
Est-il nécessaire de rappeler que Vivaldi va bien au timbre de la chanteuse romaine ? Son album sorti en 1999 nous en avait déjà plus que convaincu. Il est d’ailleurs bien courageux (voire téméraire) de la part de la chanteuse de se confronter à son image phonographique d’il y a vingt ans. Pourtant ce soir, La Bartoli, dans une forme étincelante, n’a pas à rougir de la comparaison.
On retrouve ainsi intactes les qualités qu’on lui connait, au premier plan desquelles une longueur de souffle qui semble infinie, notamment dans un « Sol da te » en suspension, enchanté par la flûte diserte de Jean-Marc Goujon. Toujours bien construit, le programme varie les atmosphères, permettant de rappeler au détour d’un « Ah fuggi rapido » que la vocalise est toujours aussi véloce et ciselée, mais semble moins martelée que par le passé.
On pourra toujours chercher à redire.
Ainsi, on peut ne pas gouter le côté démonstratif de la chanteuse, l’émerveillement n’est jamais loin de la nigauderie (La Silvia) et la colère provoque des grimaces que ne renierait pas une méchante de chez Disney (Argippo). Ces excès participent pourtant à la complicité qu’elle établit avec son public et ne nuisent en rien à sa capacité à nous éblouir et nous émouvoir. Le « Gelido in ogni vena » que l’on pensait connaitre par cœur dans son gosier, nous revient transfiguré. Les tempi semblent d’abord plutôt véloces, accompagnant un reste de révolte chez le roi qui a condamné son fils, puis on assiste à la montée irrépressible de la douleur et au renoncement, les pleurs envahissant au fur et à mesure la mélopée. C’est un moment en suspension où l’attitude de la chanteuse comme concentrée sur son supplice et le chant qui semble au fur et à mesure s’évanouir hypnotise et bouleverse.
On pourrait également regretter la place significative des pièces instrumentales, avec de larges extraits des Quatre Saisons. La deuxième partie du programme ne compte ainsi que quatre airs. Pourtant la belle intégration de ces plages non vocales et surtout la qualité de instrumentistes qui entourent la Diva effacent ces préventions. On aurait pu craindre que les Musiciens du Prince – Monaco ne sonnent étriqués dans la grande salle de la Philharmonie. Il n’en est rien, l’ensemble, qui joue sur instruments anciens, séduit par une sonorité plutôt ronde et un bel équilibre avec des graves bien présents (avec trois violoncelles et deux contrebasses placées de part et d’autre de la scène). La direction de Gianluca Capuano vive sans être brutale laisse par ailleurs s’épanouir le violon virtuose mais sans esbroufe d’Andrés Gabetta.
Surtout la chanteuse se réserve pour des bis qui constituent par eux même un concert ! Haendel est à l’honneur avec l’air « Desterò dall’ empia dite » extrait d’Amadigi di Gaula où la voix dialogue et rivalise avec hautbois et trompette, puis le charmant « Felicissima quest’alma » extrait d’Apolo e Dafne. Cecilia Bartoli retrouve ensuite Vivaldi avec « Sventurata navicella » qui n’a rien perdu de son charme. Viennent encore un Cherubino mutin à souhait et une chanson « No ti scordar di me », qui brille par sa simplicité. Mais tout cela n’était pas suffisant et sous l’ovation du public, la chanteuse se lance dans un duel à couteau tiré avec la trompette de Thibaud Robine dans « A facile vittoria » de Steffani. Ce dernier aura beau ruser, face au souffle inépuisable de la chanteuse, il ne peut rivaliser. Dans une dernière ruse (bien préparée), il tente de faire basculer le concert dans le jazz : la chanteuse ne s’en laisse pas compter et conclut le concert par un Summertime au groove irrésistible.
Une technique toujours bluffante, une générosité non feinte et une bonne dose d’humour… Voilà sans doute la formule magique et irrésistible de Cecilia Bartoli.