Ce 16 juin, pour la troisième année consécutive, le Concours international de Mélodies françaises a constitué le point d’orgue du Festival Classica qui avait commencé le 24 mai et investi pendant trois semaines maints lieux de la banlieue de Montréal. Il s’agit, en multipliant les concerts dans des lieux hors des circuits institutionnels, de provoquer la rencontre entre la musique et ceux qui autrement n’iraient pas forcément la chercher. Marc Boucher, l’initiateur du Festival, tenait à l’enrichir par ce concours car la mélodie française représente, au Québec, un lien étroit avec les racines de la culture, savante ou populaire. Pour donner le plus de chances à son projet, il a ouvert le concours aux amateurs comme aux professionnels et investi le public dans l’établissement du palmarès en accordant à ses votes le même poids qu’aux votes du jury. Nous avons pu constater, cette année comme l’an dernier, avec quel sérieux les spectateurs s’acquittent de leur responsabilité. Mais nous avons toujours du mal à croire, même si on nous a assuré du contraire, qu’aucun esprit « de clocher » ne vient, même un peu, influencer leurs choix.
Autre particularité du concours, personne ne repart les mains vides. Des dix demi-finalistes, cinq seulement accèdent à la finale mais les exclus auront une bourse d’un montant de 1000 dollars canadiens. Du moins était-ce prévu, jusqu’à ce qu’un mécène désireux de rester anonyme offre 5000 dollars ce qui a doublé l’indemnité des « recalés », comme on l’apprend avant le début de la finale. Les vainqueurs se partageront 32000 dollars, notamment grâce à la générosité de Madame Marie-Paule Rouvinez, présidente d’honneur avec Messieurs Gilles Beauregard et Jacques Marchand. Ceci sans tenir compte des trois prix attribués exclusivement par le jury : meilleur pianiste, artiste émergent et meilleure mélodie canadienne en langue française.
Caroline Gelinas © Patrick Boucher
Des bruits de couloir semblaient annoncer sa victoire, et le palmarès la confirme : la mezzosoprano Caroline Gelinas remporte le Grand Prix. Comme l’an dernier, elle a interprété le cycle de Maurice Ravel Sheherazade qu’elle a d’ailleurs enregistré pour un label canadien. Passons-nous à côté d’une grande artiste sans savoir l’apprécier ? On ne voit guère comment lui reprocher quelque chose, mais ni le timbre ni l’incarnation ne nous émeuvent, ne nous font éprouver l’élan d’adhésion que suscitent l’étoffe d’une voix ou la force d’un tempérament. Deuxième nommée, Jacqueline Woodley intrigue par un timbre ambigu bien qu’elle soit soprano ; dans les Ariettes oubliées de Claude Debussy elle passe d’une entrée à la vibration juste et sensuelle à une surcharge expressive par un vibrato outré, mais de jolis diminuendos et un élan communicatif compensent une élocution parfois appliquée. Troisième prix, le baryton Geoffroy Salvas brille dans Le Bal Masqué de Francis Poulenc, même si la rapidité bouscule parfois légèrement la clarté de la diction. Celle-ci reste pour l’essentiel d’une netteté, d’une fermeté, d’un mordant qui siéent à ces textes, alliées à une puissance contrôlée mais notable et une recherche louable pour varier les couleurs.
Quatrième prix et prix de la meilleure mélodie canadienne – une nouveauté destinée à la promotion de la mélodie de langue française par des auteurs du pays, en l’occurrence Les rivages perdus, de François Morel – la concurrente Axelle Fanyo. Peut-être brilla-t-elle plus en demi-finale ? Quoi qu’il en soit elle a été pour nous le choc de ce concours : la voix est dans le masque, sonore, charnue, opulente, l’élocution est ferme, le medium riche, les graves assurés et la réserve de puissance bien présente. Ajoutez un tempérament dramatique d’une versatilité très souple, comme instantanée, ce qui donne aux variations d’intensité et de couleur des Trois chansons de Bilitis de Claude Debussy une impression de naturel illusoire qui ravit, aux deux sens du mot. On pense à Crespin la diseuse, on pense à Jessye Norman, on rêve déjà des délices que sa gourmandise pour le chant promet. Nommée avec elle, Suzanne Taffot dont la voix de soprano est bien placée mais est loin d’avoir cette richesse harmonique ; elle chante elle aussi Les ariettes oubliées avec ce vibrato aujourd’hui désuet qui en mimant l’émotion la rend conventionnelle et mène au maniérisme. Que ne se laisse-t-elle aller comme elle l’ose presque dans Chevaux de bois ?
Ainsi s’achève, avec ce Concours qui maintient vivant un art lourdement menacé, le neuvième Festival Classica. La devise du Québec est « Je me souviens ». Marc Boucher l’a reprise à son compte mais il semble y avoir ajouté celle de Guillaume d’Orange : « Je maintiendrai. » Le dixième festival devrait révéler un opéra inédit de Théodore Dubois, dont on joue la musique au Québec depuis 2011, précision à l’attention de qui serait tenté de taxer ce choix d’opportunisme branché. Sans doute le prochain concours de mélodies apportera-t-il son lot de découvertes. Sauvegarder le meilleur de ce qui nous fonde, le maintenir en vie et préparer sa transmission, comment ne pas adhérer à ce programme ? Longue vie à ce Festival de Mélodies françaises !
Palmarès :
Grand prix d’un montant de 10 000 dollars canadiens : Caroline Gelinas (Canada)
Deuxième prix (7500 dollars canadiens) : Jacqueline Woodley (Canada)
Troisième prix (5500 dollars canadiens) : Geoffroy Salvas (Canada)
Quatrième prix (3000 dollars canadiens) : Axelle Fanyo (France)
Cinquième prix (3000 dollars canadiens) : Suzanne Taffot (Canada)
Prix spécial – Meilleur pianiste accompagnateur : Alex Soloway (3000 dollars canadiens)
Prix de la meilleure mélodie canadienne : Axelle Fanyo pour Les rivages perdus de François Morel (2000 dollars canadiens)
Prix de l’artiste émergent : Ellen Wieser (1000 dollars canadiens)