La scène de la salle Pleyel nous avait semblé bien vide lorsque nous nous sommes installé, et pour cause : l’on nous annonce qu’à cause des intempéries, une partie de l’Orchestre La Scintilla (originaire de Zürich) est bloquée en route. Le concert démarre pourtant, sous les applaudissements nourris d’un public nombreux et reconnaissant, avec un effectif orchestral réduit, en particulier les cordes (deux violons au lieu de la dizaine que compte habituellement l’ensemble !).
Malgré le talent et l’engagement du premier violon et chef, Ada Pesch, les parties instrumentales ne peuvent, dans ces conditions, que sonner déséquilibrées. Cela met d’autant plus en valeur la qualité des solistes, en particuliers les vents, hautbois et flutes, virtuoses dans les ouvertures de Veracini et Porpora. L’orchestre se retrouve heureusement au complet après l’entracte.
Pour ces retrouvailles annuelles (voire rituelles) avec son public parisien, dans le cadre d’une tournée qui l’aura emmenée sur les routes d’Europe, de Baden-Baden à Bruxelles, Cecilia Bartoli a opté pour un programme 100% Haendel. Ce choix, certainement moins original que les Maria et autres Sacrificium qui l’on précédé1, donne cependant un bel aperçu de l’art du Caro Sassone.
On reconnaît ici le don de la soprano pour faire de ces rendez-vous des moments uniques. D’abord un programme habilement troussé, qui tisse airs à vocalises et tendres lamenti, marie raretés (l’extrait de la cantate Apollo e Dafne, dont l’intérêt principal (et limité) est l’ambiance bucolique soulignée par les cris d’oiseaux) et scies haendéliennes (extraits de Giulio Cesare in Egitto ou Alcina). Mais également une véritable générosité, avec un programme déjà consistant, complété de trois bis, dont l’un chanté dos à la salle, pour les spectateurs assis en arrière-scène.
Mais revenons à l’essentiel, La Bartoli. Elle fait une entrée fracassante, au son du tonnerre. Faute de cordes suffisantes, le « Furie terribili » tombe malheureusement un peu à plat. Pourtant, une évidence s’impose : la chanteuse est en forme ! La voix se projette bien malgré une puissance sommes toutes modeste, et a retrouvé une belle homogénéité, avec un medium qui sonne comme repulpé2.
Malgré cette entrée en matière flamboyante, le concert semble placé cette année sous le signe d’une certaine sobriété. D’abord au niveau vestimentaire, la chanteuse gardant la même robe noire à fines bretelles pendant toute la soirée, simplement agrémentée de bijoux scintillants. Dans son chant ensuite, la cantatrice semble par moments abandonner tout artifice. A cet égard les airs de Giulio Cesare, « Che sento, o dio… Se pieta » et « Vadoro pupille » sont des sommets : la voix se fait murmure, sans jamais détimbrer même dans les pianissimi les plus impalpables, et la salle est littéralement pendue à ses lèvres. Cet effet hypnotique se renouvelle en seconde partie avec un « Ah mio cor » intériorisé, particulièrement dans le da capo, qui nous fait partager la résignation et pleurer à l’unisson de la magicienne : cette économie d’effets lui va décidemment comme un gant.
Que l’on se rassure, le naturel volcanique de Cecilia revient régulièrement au galop, notamment dans un « Da tempeste » (malheureusement un peu lesté par les cordes anémiées) où la chanteuse varie à l’envi : impressionnant. Mais nous ne sommes davantage ici dans la démonstration (fort réussie au demeurant). C’est là l’autre facette de la cantatrice, un côté extraverti qui peut parfois agacer, mais qui a pour qualité de dynamiser le concert, comme lorsqu’elle rivalise avec le hautbois pour savoir qui tiendra la phrase musicale la plus longue, à coups de cascades de vocalises (Teseo). On ne peut non plus nier une griserie coupable face à la démonstration de souffle dans l’air « Son Qual nave » : la chanteuse, mutine, débute sa note face au public, puis la file en se tournant vers les places d’arrière-scène, avant de la terminer en apothéose à nouveau face à la salle.
Emotion, excitation… la neige n’a qu’à bien se tenir, nous avons trouvé l’antidote à la grisaille hivernale.
1 On retrouvera d’ailleurs en bis un air de Broschi extrait de ce dernier, seule entorse au programme 100% Haendelien du soir
2 Il avait semblé s’amincir du fait de l’extension vers l’aigu qui caractérisait les dernières prises de rôle de la chanteuse.