On n’a pas souvent la chance d’assister à une représentation d’opéra baroque espagnol. Baigner ses oreilles de cette prosodie très inhabituelle de la langue espagnole doit s’apprécier à sa juste valeur. Si les répertoires italiens, anglais, français et allemands sont de plus en plus interprétés et donc connus, les œuvres de Durón, Terradellas ou Literes sont encore rarissimes sur nos scènes. La résurrection de cette Coronis doit donc être saluée, d’autant qu’elle a été ironiquement mise à mal par une épidémie au nom étrangement approchant. De plus, anecdote historique intéressante, alors qu’à Rome les femmes étaient interdites de scène, à Séville, les chanteurs devaient intégralement se consacrer au culte catholique, et c’est une distribution presqu’entièrement féminine qui créa cette œuvre devant Philippe V.
Néanmoins, nous ne partageons pas l’enthousiasme de notre collègue lors de la création de cette production à Caen. Essentiellement car l’œuvre elle-même nous a semblé assez faible. La faute à un livret particulièrement répétitif d’abord : interminables luttes entre Neptune et Apollon, 3e lamentation du Triton pourtant censé être mort au tableau précédent, nouvelle plainte de Coronis… chaque tableau se succède et se ressemble, sans compter que chaque phrase est souvent répétée 4 ou 5 fois, sans grande variation musicale. Inutile également d’y chercher une forme de finesse psychologique : ce sont toujours les mêmes stéréotypes basiques que chaque personnage incarne tout au long des scènes. Enfin le drame manque paradoxalement souvent de clarté, au point qu’il faille ajouter un passage bouffe parlé en français avant la scène de ménage entre Ménandre et Sirène. La partition réserve heureusement quelques beaux moments : essentiellement des lamentations, l’air d’entrée virtuose d’Apollon ou la très belle tempête qui conclut le premier tableau et qui brode de façon brillante sur le fameux thème des Folies d’Espagne. Mais cette scène est purement instrumentale, là où un contemporain comme Conti, en faisait un morceau lyrique haletant dans son Don Chisciotte in Sierra Morena.
© Stefan Brion
On passe néanmoins une soirée agréable grâce à la véritable troupe chargée de redonner vie à cette zarzuela. Un grand soin a d’abord été apporté aux costumes, merveilleux et astucieux (le dos fumant de Ménandre par exemple). La scénographie est également particulièrement soignée : même si les décors ne sont pas aussi variés que le demanderait le livret (ce qui ne contribue donc pas à en clarifier l’action), au moins cherchent-elle à émerveiller, à grand renfort notamment de feux d’artifice et d’acrobaties. Cette mise en scène d’Omar Porras est d’une certaine naïveté qui sied bien au caractère mi sérieux, mi burlesque de l’œuvre, tout en étant parfaitement réglée.
Le Poème harmonique dirigé par Vincent Dumestre est agile et précis. Très investis, les différents pupitres confèrent manifestement profondeur et entrain à cette partition, et ne sauraient donc être tenus pour responsables de notre déception face à l’œuvre. Le chœur est à l’unisson, très expressif dans le verbe comme dans le geste et se délectant des consonnes ibériques.
Chez les protagonistes, on saluera les compositions comiques marquantes de Marielou Jacquard et Caroline Meng, même si nous avons plus de réserves sur leur pertinence vocale pour incarner les dieux belligérants. Anthea Pichanik marie mieux le bouffe et l’opulence en un Ménandre bégayant très bien senti. Marie Perbost est une nymphe très vivante, tantôt tragédienne, tantôt nymphette, au chant subtilement stylé. Tout comme Cyril Auvity, méconnaissable en grisonnant Protée, à qui l’on ne reprochera qu’une fraicheur du timbre en contradiction avec sa perruque. Dommage que ces deux-là tournent en rond dans leurs rôles peu fouillés par le librettiste. Il n’y a finalement qu’Isabelle Druet pour changer le plomb en or. Alliant avec excellence bel canto et expressivité, sans tomber dans l’outrance que la mise en scène lui autoriserait pourtant, elle brille même dans les passages qui n’auraient été que de longs tunnels pour d’autres.