Monté à la hâte la saison dernière pour pallier l’annulation de plusieurs autres spectacles, réalisé avec très peu de moyens et donc relativement peu ambitieux, ce Così fan tutte réunit une excellente distribution, réussit à susciter beaucoup d’émotion et atteint son but : faire vivre, encore et toujours, l’œuvre de Mozart au cœur même de sa patrie, attirer les foules et faire salle comble, quelque soit le prix des billets et le nombre des représentations.
C’est le metteur en scène Christof Loy, grande figure de la scène allemande dont le Cosi, présenté à Frankfort en 2008, avait suscité l’enthousiasme de ses confrères, qui fut choisi en 2020 pour relever ce défi. Sans vouloir réinventer la roue, il a conçu un spectacle assez conventionnel mais très respectueux du livret et de ce qu’on peut imaginer des intentions du compositeur : un spectacle où la drôlerie succède à l’émotion, le jeu au drame, l’ironie au désespoir, un marivaudage bien dans l’esprit du XVIIIe finissant, sans trop se soucier de vraisemblance ni d’imprimer sa marque sur l’œuvre. C’est fluide, visuellement très soigné, ça fonctionne tout seul, par la seule force des chanteurs et de la partition, comme une mécanique bien huilée.
Le décor est fait de deux panneaux blancs coulissant, chacun percé d’une porte également blanche. Présentés d’abord côte à côte pour former un mur uniforme, ils s’ouvriront au deuxième acte pour laisser entrevoir un grand arbre, seul élément de nature pour servir de cadre aux atermoiements sentimentaux des deux couples. Toute l’action se situe devant ce seul décor donnant au spectacle une belle unité. Les costumes, entièrement noirs et blancs au début de la pièce, se colorent dès qu’entrent en scènes les deux albanais qui rivalisent d’excentricités vestimentaires, du plus bel effet comique. Le tout est généreusement éclairé et constitue de biens jolis tableaux, agréables à regarder.
La conception globale de la mise en scène relève plutôt d’un opéra de chambre, qui serait sans doute mieux à son aise dans un espace plus restreint et plus intime que le Grosses Festspielhaus.
Effet inattendu de la crise sanitaire, les spectacles sont présentés ici sans entracte. Sur le plan de la dramaturgie et de la cohérence de la soirée c’est une excellente chose, et voir Così d’une seule traite ajoute au plaisir du public, même si les impératifs de la nature obligent quelques spectateurs imprévoyants à déranger leurs voisins pour quitter la salle en cours de représentation…
Le meilleur élément de cette production est certainement à trouver du côté de la distribution. Elle réunit d’excellentes pointures, parfaitement distribuées. Les chanteurs ont l’âge du rôle, les filles sont ravissantes, les garçons ont l’air vaillants et la musique de Mozart fait le reste.
Elsa Dreisig (Fiordiligi), Johannes Martin Kränze (Don Alfonso) et Marianne Crebassa (Dorabella) © Monika Rittershaus
Marianne Crebassa (Dorabella) et Andrè Schuen (Guglielmo) en sont probablement les éléments les plus solides : magnifique aisance vocale chez l’une comme chez l’autre, jeu de scène très naturel, ils semblent éprouver un réel plaisir à jouer la comédie et communiquent généreusement ce plaisir au public. L’autre couple choisit plutôt la carte de l’émotion : le Ferrando de Bogdan Volkov, jeune ténor ukrainien, est extrêmement soigné à défaut d’être très puissant, et son air « un’aura amorosa » fut un tout grand moment, un véritable petit miracle d’émotion mozartienne. Elsa Dreisig en Fiordiligi fait preuve de beaucoup d’abattage, mais la voix connaît quelques petites faiblesses d’intonation en cours de route. Extrêmement bien distribuée également, Lea Desandre en Despina multiplie les prouesses vocales avec un naturel déconcertant et se joue des difficultés du rôle avec une belle insolence. Sous la fausse barbe du notaire Beccavivi, elle est tout simplement désopilante ! Johannes Martin Kränzle, fort d’une expérience accumulée au fil des ans et ragaillardi par une sorte de résurrection (après une gravissime maladie de la moelle osseuse et une greffe) qui lui a permis de remonter sur scène dès 2016, fait un Don Alfonso particulièrement roublard et efficace.
Tout comme en 2020, c’est Joana Mallwitz, jeune cheffe formée à Hambourg, qui a été choisie pour mener à bien la partie musicale de cette entreprise. Présentée comme la première femme à qui le festival de Salzbourg confie une production complète (ceci en dit évidemment beaucoup plus long sur le conservatisme des autorités salzbourgeoise que sur les qualités propres de la lauréate…), elle a néanmoins déjà de nombreuses autres réalisations à son palmarès, principalement en Allemagne, en Angleterre et en Scandinavie. Sa gestique est ample et souple, pas toujours très précise, notamment dans les ensembles vocaux, qui sont, on le sait, particulièrement périlleux. L’orchestre, placé à l’avant scène mais pas vraiment dans une fosse, est aussi un peu trop sonore par rapport au plateau et couvre parfois les chanteurs, désavantagés par l’ampleur de la salle. La soirée réserve cependant quelques moments sublimes lorsque l’orchestre veut bien jouer moins fort pour laisser la place aux chant pur.
Selon une bien mauvaise habitude mais désormais quasi universelle, les chœurs sont relégués en coulisse, invisibles des spectateurs, on se demande bien pourquoi.