Voilà dix neuf ans que le festival de Rocamadour sublime le cadre hors norme de la basilique Saint-Sauveur – accrochée à flanc de rocher – afin d’y faire résonner les pages les plus somptueuses du répertoire sacré. Au mitan de l’édition 2024, cette soirée ne fait pas exception avec ces Leçons de Ténèbres pour le Mercredi Saint de Couperin entrelacées de Motets de Clérambault et Charpentier.
A la tête d’une distribution exclusivement féminine, la direction pleine de grâce et de délicatesse de Chloé de Guillebon est suspendue aux lèvres de ses chanteuses dont elle scande chaque parole dans une parfaite osmose. La jeune femme dirige depuis un orgue positif renforcé par un théorbe raffiné, ainsi que par un pupitre de violes constitué non d’un mais de deux instruments. Les excellentes artistes de l’Académie de l’Opéra Royal de Versailles enrichissent ainsi la partition de Couperin d’une ligne mélodique supplémentaire dont certains moments, comme le « Plorans » ou le « He » de la Première Leçon se révèlent particulièrement touchants.
Même si les Leçons de Ténèbres sont une œuvre qui se suffit à elle-même, l’idée de cet entrelacement ne manque pas d’intérêt puisqu’elle permet une respiration entre les trois parties sans rupture de style trop brutale. Dès les Motets pour les trois jours qui précèdent le carême de Clérambault, l’investissement de six chanteuses aux voix bien timbrées, pas trop droites, se double d’un bel équilibre avec les instruments. Dans les phrases solistes, la personnalité vocale lumineuse de Sarah Charles se détache immédiatement comme à plusieurs reprises au cours de la soirée. « In Monte Oliveti » , tout de contraste recueilli, est très réussi. Seul le superbe final, le « Stabat Mater pour les religieuses », toujours de Charpentier, aurait peut-être été plus opportun en bis car si la Passion appartient effectivement au Triduum Pascal ; si le début de la pièce – à cappella dans le noir – est très prenant ; il n’en reste pas moins que la fin de la Troisième Leçon du Mercredi Saint appelle au silence et à la nuit.
Ce programme était donné pour la cinquième fois, mais constituait une première pour les deux solistes : les voix de Marie Lys et Florie Valiquette partagent une même chaude lumière, une belle articulation et une parfaite maîtrise du style. Il s’agit vraiment de deux voix égales, comme le stipule la partition.
Dans la Premiere Leçon, le tempo assez allant ne nuit aucunement à la précision des mélismes de Marie Lys qui donne une grande force de conviction au « Quomodo » ou au « Plorans », qui aurait pu être plus désolé. L’émotion se fait plus prégnante dans les lettres hébraïques comme le « Guimel », si tendre ou encore le « Migravit Juda » aux très beaux graves. Ainsi se dessine une intelligente progression du sentiment qui culmine dans le lumineux « He ».
Florie Valiquette débute pour sa part la Seconde Leçon dans la passion d’« Et egressus est a filia Sion » avant un « Zain » tout de lumière tendre. « Recordata est Jerusalem » s’avère singulièrement poignant tant l’artiste joue des couleurs et des nuances avec finesse.
Les deux sopranes se retrouvent au meilleur pour le « Yod » qui introduit la Troisième Leçon. L’équilibre est moins patent dans « Omnis populus ejus gemens » où les graves du second Dessus manquent de projection, compensé par l’énergie rythmique du « Mem ».
Le thème de l’édition 2024, celui de l’Espérance, vibre singulièrement de cette partition emprunte d’une profonde spiritualité. Le festival complète d’ailleurs la proposition de ce soir d’été par une remontée du chemin de croix à la flamme du trio des Itinérantes pour un moment à cappella puisant dans les répertoires du monde entier et d’une magie singulière.