Cela n’aura échappé à personne : 2009 sera une « année Haydn ». Cette Création, qui inaugure symboliquement le bicentenaire du décès du compositeur, pourrait bien s’avérer le point d’orgue des célébrations qu’elle prélude.
Depuis le début de sa carrière, Philippe Herreweghe défend une conception très personnelle de son métier. Loin d’être un tyran autoritaire, ou même un « despote éclairé », le chef d’orchestre doit pouvoir s’effacer devant la créativité des musiciens, au lieu de la subordonner à sa volonté propre. Cette forme de « philanthropie » s’accorde harmonieusement à l’humanisme rayonnant du premier « grand oratorio » de Haydn (prédécesseur de la Création, Il Ritorno di Tobia, et c’est injustice, ne s’est pas imposé) : l’orchestre, solaire, suit comme un seul homme les différentes inflexions de cette partition foisonnante, cependant que le moindre pupitre s’approprie individuellement, et avec bonheur, des couleurs, des phrasés, des accents profondément personnels, immédiatement identifiables. La perfection des nuances est par ailleurs brillamment démontrée dès le tout début : a-t-on jamais entendu une fuite des ténèbres vers la Lumière si radieuse, au moment où « la Lumière fut » ? Mais jamais l’interprétation des plus beaux détails dont Haydn a parsemé son œuvre ne trouble une remarquable construction de l’équilibre général. Jamais le fameux « bestiaire » du récitatif de Raphaël, dans la deuxième partie, ne cède au narcissisme ou à l’ostentation ; érudit sans être austère, créatif sans être fantasque, Herreweghe sait trouver mieux que personne la « double impulsion » nécessaire : celle inhérente à chaque morceau, et celle qui traverse tout l’oratorio. La Création, c’est aussi des choristes, et ceux du Collegium Vocale sont au-delà de tous éloges : tout comme l’Orchestre des Champs-Elysées, on ne sait ce qu’il faut admirer le plus, entre la beauté des pupitres, la profondeur des couleurs, la richesse des nuances et de la dynamique, l’excellence de la mise en place…
Dans pareil contexte, les solistes ont fort à faire pour se hisser au même niveau. Précisons tout de suite qu’ils n’y parviennent pas vraiment. D’entrée de jeu, Yorck Felix Speer montre des problèmes d’intonations que ne compense guère une diction relachée ; et quand fermeté vocale et qualités de diseur sont lacunaires, l’archange Raphaël n’en est plus vraiment un… Nous préfèrerons alors son Adam, tendrement épris. Le trac empêche Christina Landshamer de convaincre dans son premier air (« Nun beut die Flur… »). Heureusement, la jeune soprano bavaroise impose par la suite un timbre gracieux, léger, et une personnalité vraiment attachante. James Gilchrist, enfin, est le plus convainquaint des solistes : la puissance de sa voix et l’éloquence de sa diction (enfin !) font de chacune de ses interventions un vrai bonheur.
Malgré quelques imperfections, cette Création, aux chœurs et à l’orchestre littéralement touchés par la grâce, place d’ores et déjà la barre très haut pour la suite des commémorations. A tel point que le public, conquis et entêté, poussera Herreweghe a redonner en bis le chœur final : « Que toutes les voix chantent le Seigneur / Que toutes ses œuvres le remercient… »