Les Lombards à la première croisade, représenté cette année pour la première fois à Macerata, n’est pas à proprement parler l’opéra de Verdi le plus connu, d’où l’intérêt tout particulier de cette production. Son livret, encore plus incohérent que celui de La Force du Destin, porte pourtant un souffle lyrique du niveau de Nabucco, et bien supérieur à la version française révisée de 1847 sous le titre Jérusalem, que l’on a pu voir notamment à l’Opéra de Paris en 1984 avec Cecilia Gasdia et Veriano Luchetti. Mais l’amour inter-religieux qui s’y développe, entre la chrétienne Giselda et le musulman Oronte, est un thème d’actualité qui prend le pas sur l’épopée vers le Saint Sépulcre. Musicalement parlant, les réminiscences de Nabucco sont évidentes : les éclats de Giselda ne sont pas sans rappeler ceux d’Abigaille, et le chœur « Oh Signore dal tetto natìo » le célébrissime « Va pensiero ».
Le dispositif scénique de Pier Luigi Pizzi est sensiblement le même que pour La Force du Destin jouée la veille : un espace central et deux espaces latéraux, cette fois transformés en pièces d’eau où les Croisés vont s’ébattre avec joie dans la dernière partie de l’œuvre. Seul élément décoratif, un Christ en croix que des figurants promènent avec nonchalance sinon respect, et qu’ils doivent de plus maintenir vertical à certains moments. À part ces éléments assez répétitifs et peu inventifs, il nous a quand même été donné de voir de beaux moments scéniques, tels ceux où l’excellent violoniste Michelangelo Mazza accompagne sur scène une très bonne danseuse, Anbeta Toromani (mais sur une chorégraphie sans intérêt), le songe avec le mur illuminé de bleu, le reflet des eaux sur le mur quand les croisés s’y immergent, et les rais de lumière éclairant la scène finale (toujours les merveilleux éclairages de Sergio Rossi) : ainsi le mur du Sferisterio devient-il acteur à part entière de la pièce. En revanche, les simulacres de combats au cimeterre paraissent bien mous… Au sujet du mur, les surtitres en italien qui y sont projetés ne sont pas une mauvaise idée, mais les placer en plein milieu perturbe quelque peu la beauté du spectacle : pourquoi ne pas les dédoubler aux deux extrémités ? Les costumes sont également de toute beauté, avec des tissus évoquant l’Orient mythique dans des tons de couleur pastel.Toujours le « chic Pizzi ».
La soprano Dimitra Theodossiou, qui a déjà chanté à Macerata Norma et la Cleopatra de Lauro Rossi, a le tempérament et la voix nécessaires pour le rôle de Giselda. Mais elle est loin de susciter l’unanimité ; en effet, que peut-on préférer dans un tel rôle, une voix belle et bien menée mais un personnage inexistant, ou au contraire un vrai personnage tragique, un personnage théâtralement crédible, au risque d’avoir une déception au niveau vocal ? C’est ici la seconde solution qui a été préférée ; la cantatrice grecque dégage beaucoup d’émotion, et – contrairement à sa consœur de la veille1 – est une véritable actrice et tragédienne ; bien sûr, la voix est âpre, rugueuse, pas toujours très juste (souvent entre deux notes, un peu comme Deborah Polaski), meilleure dans la véhémence que dans la douceur, avec des stridences parfois désagréables quand la voix se durcit ; mais là, avec elle, il se passe vraiment (enfin) quelque chose. Alexandra Zabala (Viclinda) et Annunziata Vestri (Sofia) réussissent fort bien quant à elles à rendre crédible deux rôles secondaires.
Côté masculin, l’ensemble est homogène, avec deux bons chanteurs qui interprètent les deux frères ennemis : le ténor Alessandro Liberatore (Arvino) d’assez bonne tenue tant vocale que scénique, et le baryton Michele Pertusi (Pagano), tout au plus un peu gêné dans les extrêmes graves. Quant à Francesco Meli, le « ténor qui monte » (Oronte), il ne nous a pad convaincu pleinement ; la voix est forte, souvent musicale, mais comporte déjà les défauts de beaucoup de ténors italiens qui de plus se croient irrésistibles, surtout quand la claque et leurs aficionados accompagnent bruyamment chacune de leur sortie de scène, comme pour Alagna quand il faisait craquer toutes les minettes de l’Opéra Comique. Les autres chanteurs sont tout à fait honorables.
Au total, la mise en scène et la direction d’acteurs paraissent plus accomplies que la veille, mais si l’orchestre et les chœurs sont toujours aussi excellents, en revanche la direction de Daniele Callegari semble moins nette, comme s’il avait manqué de temps pour les répétitions. D’où quelques flottements tout à fait inhabituels, essentiellement avec les chœurs.
Néanmoins, malgré ces quelques imperfections, cette représentation a été beaucoup plus intéressante que celle de La Force du Destin, et c’est visiblement avec un grand plaisir que le public un peu clairsemé mais particulièrement attentif, a plus longuement ovationné toute la troupe.