Après avoir quasiment déserté les scènes de l’hexagone ces vingt dernières années, c’est à un véritable retour en grâce de Samson et Dalila auquel le mélomane français assiste cette année. Après Marseille et avant Toulouse et Paris, c’est Montpellier qui accueille aujourd’hui le chef d’œuvre de Camille Saint-Saëns. On pourra cependant regretter que les quatre villes n’en proposent qu’une version de concert, tant cette histoire d’amour et de trahison mérite grandement les honneurs de la scène. Rappelons d’ailleurs que cet opéra a été, après Faust et Rigoletto, l’œuvre la plus jouée au Palais Garnier au XXe siècle, avec quelque mille représentations.
Après avoir été ici même un bon Radamès et un honnête Otello, Badri Maisuradze interprète, cette fois, un bien piètre Samson. Le ténor géorgien semble se désintéresser complètement de son personnage, chantant de bout en bout son rôle les bras croisés et se montrant incapable de la moindre intensité dramatique comme de la moindre nuance psychologique. Le chant est à l’unisson, tout en force, comme assené; l’émission est raide et engorgée; le timbre avare de couleurs. On ne croit pas un seul instant à ses « je t’aime »; quant à l’Air de la meule, il est délivré sans susciter la moindre émotion. Le français, enfin, est tout bonnement incompréhensible.
Le jeune mezzo israélien Hadar Halevi nous offre heureusement une Dalila d’un tout autre acabit. A l’opposé de son confrère, c’est merveille de la voir donner vie au personnage avec du coup pour seul partenaire…son pupitre ! Multipliant poses, gestes et autres regards, elle brosse un portait crédible et même saisissant de cette femme aussi dangereuse que séductrice. L’air fameux « Mon cœur s’ouvre à ta voix » nous ravit par la sensualité qui s’en dégage, le timbre, déjà chaud et rond, se faisant alors de velours. Sa diction de notre langue est parfaite et la ligne de chant digne des plus vives louanges. Seul (petit) bémol, on aurait souhaité qu’elle nous gratifiât d’un registre grave plus étoffé et d’une projection plus insolente, mais on ne doute pas que l’artiste les acquerra avec le temps.
Le grand prêtre de Marc Barrard nous pose un réel cas de conscience. Si le timbre chaud du baryton nîmois, sa diction d’une exemplaire clarté et sa ligne de chant de toute beauté enchantent, il n’a, pour autant, pas la voix requise pour ce rôle. Il y manque une certaine noirceur ainsi qu’une certaine autorité, nécessaires ici. L’acteur est enfin trop « bonhomme » pour rendre suffisamment inquiétant ce maléfique personnage.
C’est un vieil hébreu de haut vol qu’incarne Nicolas Cavallier. Il confère à son personnage une vraie noblesse allié à une voix d’une extraordinaire musicalité, ample et chaleureuse.
Enfin, David Bizic est un Abimélech de luxe et Franck Bard une messager honorable.
Grands triomphateurs de la matinée, les nombreux artistes de choeur (plus d’une centaine !) de l’Opéra National de Montpellier renforcés par ceux d’Anger-Nantes Opéra ont été sensationnels de cohésion, d’intensité et d’implication.
Nous n’en dirons pas autant de la direction musicale de Lawrence Foster qui n’a pas été à la hauteur de ce qu’il nous offre d’habitude avec l’Orchestre National de Montpellier Languedoc-Roussillon dont il est le directeur musical depuis maintenant deux ans. Trop de décalages, rubati hors de propos et une petite tendance à faire vrombir son orchestre de manière intempestive.