Le titre, « D’Âme Nature », et, surtout, le sous-titre, « parenthèse poétique et écologique », interrogeaient. On redoutait, au mieux, une fable moralisante, au pire un manifeste dogmatique. Pour leur 77ème édition, les Concerts classiques d’Epinal ont fait confiance à Laure Baert, conceptrice et interprète, comme à ses amis, et l’on ne peut que s’en réjouir.
Si la relation que l’homme entretient avec la nature lui a fait oublier son appartenance, comme l’amour et l’harmonie qu’il doit lui porter, le spectacle, sans concessions, parle à tous les publics. Aux plus nombreux, éloignés du monde de l’art, qu’ils croient trop souvent destiné à d’autres qu’eux, comme au lycéen, au curieux, à l’intellectuel ou à l’esthète. Présentant notre passé récent et notre actualité comme documents d’archives, la fiction rétrospective pourrait faire sourire : elle est ingénieuse et efficace.
Ce qui aurait pu ressembler à un inventaire à la Prévert, associant Raymond Devos à Racine, Leroi-Gourhan à Mère Teresa, Liszt à Barbara, trouve sa cohérence dans son organisation et dans la conduite qu’en réalise Gabriel Grinda (*). C’est sa scénographie, magistrale, qui tire le fil d’Ariane et confère cohérence et continuité au propos, malgré des emprunts à des registres si hétéroclites. Les projections en fond de scène, où s’enchaînent textes explicites et images animées, sont un constant régal pour l’œil. Jamais leur association à la musique ou à la déclamation ne distrait l’attention. Les témoignages, clairs, forts et concis, qui ponctuent le déroulement du spectacle, parlent à l’intelligence et à la sensibilité de tous.
L’éclectisme des choix, musicaux comme littéraires, permet de couvrir tous les registres, s’adressant à chacun, quelque soit son parcours et sa sensibilité. Renonçons à une énumération fastidieuse pour retenir, arbitrairement, quelques pièces. Laure Baert, qui a privilégié ces dernières années la direction de festivals de musique baroque (Froville, maintenant Sablé), revient à ses premières amours. Bien qu’en cours de rétablissement d’une sérieuse laryngite, elle a maintenu sa participation par respect du public et de ses partenaires. On l’oublierait si l’annonce n’en avait été faite, tant les qualités d’émission forcent l’admiration. A côté de mélodies de Fauré – familières au lecteur – exemplaires de style, on apprécie Mel Bonis, redécouverte récemment, tout comme Barbara, dont elle traduit la force et la sensibilité. Voix ample et libre, d’un velours envoûtant, d’une autorité naturelle, Jean-Philippe Puymartin, déclame et joue des textes plus beaux les uns que les autres, où les alexandrins de Racine rejoignent la souplesse féline de la prose de Colette. Le grand comédien, à la scène comme à l’écran, s’y montre sous son meilleur jour, esquissant quelques pas de danse avec la chanteuse, lorsque Barbara s’invite. L’alternance de la voix du conteur et des pièces musicales, chantées ou instrumentales, de témoignages projetés, évite toute lassitude, l’attention se renouvelant sans cesse.
© DR
Nos deux instrumentistes, seules à occuper l’espace scénique de façon permanente, auraient pu, individuellement ou en duo, donner un concert apprécié. Elena Rozanova est une merveilleuse pianiste, dont le toucher, la clarté du jeu et la virtuosité jamais gratuite impressionnent. Accompagnatrice attentive, chambriste exemplaire, elle n’aura que trois soli (Le vol du bourdon, de Rimski-Korsakov, une valse de Chopin, le sonnet 104 de Pétrarque, de Liszt). Ce dernier, monumental, n’était sa relative brièveté, est d’une lecture passionnante par sa force, sa virtuosité, sa clarté (pédale !) et son souffle de liberté. Seul petit regret : la voix du comédien est programmée pour en tuiler les premières mesures…
Diana Ligeti, dès les premières notes qu’elle tire de son violoncelle, nous émeut par la richesse et la chaleur de son timbre. De Saint-Saëns, l’inévitable Cygne, au lyrisme contenu, à Piazzolla, mais aussi en substitut (Après un rêve, de Fauré) ou en contrepoint de la voix chantée, c’est un constant bonheur.
Si le spectacle n’innove pas dans la mesure où il mêle vidéo et textes parlés à la musique, il est exceptionnel de trouver une telle osmose entre toutes les composantes, une telle harmonie et plénitude. L’émotion s’y conjugue à l’intelligence, et chacun en fait son miel. Puisse cette production conquérir de nombreux publics !
-
(*) De la troisième génération des Grinda, on en apprécie toujours les mises en scène, comme les vidéos, très professionnelles, qui lui sont confiées (Carmen à Orange, Mefistofele à Toulouse, l’Enlèvement au sérail à Monte-Carlo, puis à Marseille…).