Diana Damrau en Elvira, et Bellini à l’affiche. I Puritani, oeuvre dont la richesse et la verve ne sont plus à démontrer, nous appelle volontiers à l’opéra de Genève, surtout lorsqu’elle s’y donne quasiment sans coupure. On aimerait revenir d’une soirée telle que celle-ci l’esprit plein de musique, et d’images sublimes. On en sera revenu hélas plutôt pensif. Réussir un spectacle, c’est emporter le spectateur, l’emmener vers quelque chose de supérieur.
Or, il ne suffit pas de se donner les airs d’un grand spectacle et d’inviter une célébrité pour y parvenir. Surtout quand celle-ci se contente d’une sorte de minimum syndical. Car Diana Damrau nous offre une Elvira bien peu émouvante. Consciente des attentes du public, elle mise tout sur une scène de la folie parfaitement rodée, distillant à bien plaire les possibilités de son bel organe, quoique à la puissance limitée. L’exécution virtuose, si elle parvient à être par moment émouvante, est terriblement convenue. Les suraigus finaux ne sont pas une jubilation ou un sommet dramatique mais une note prévue, préparée et exécutée correctement. On sait bien qu’on ne peut pas – hélas – exiger une nouvelle Beverly Sills à chaque exécution de l’oeuvre ; cela ne nous interdit pas de demander quelque chose qui aille plus loin du seul exercice vocal. Inutile donc de mentionner le reste de sa performance : la voix y est belle, et nous laisse sur terre. Le reste du plateau vocal pose d’autres problèmes. Si Alexey Kudrya a la prestance physique du fier et beau cavalier qu’est Arturo, il n’a pas le legato qu’exigent les airs belliniens, et ce, dès « A te, o cara », où l’on se trouve face à quelque chose comme une suite de notes, sans ligne véritable, servies par une voix extrêmement légère, certes éduquée et d’une belle classe, mais trop étriquée et claquante pour le rôle. D’autres passages sont plus réussis, mais on préfèrera, en somme, le contre-ré d’un Flórez à ce contre-fa là. Franco Vassalo, en Riccardo, tente de compenser par les suraigus triomphants une voix quelque peu engorgée. Quoique impressionnants, ceux-ci ne parviennent pas à racheter véritablement une performance qui, bien qu’inspirée, souffre de ce défaut. Chez Lorenzo Regazzo en Giorgio, on apprécie l’instrument de belle facture, sans qu’il parvienne à nous emporter, pas convaincant dans le merveilleux duo du premier acte avec Elvira. On en viendrait presque à dire que, vocalement, c’est le choeur qui s’investit le plus dans cette production.
La mise en scène de Francisco Negrin ne vient pas vraiment non plus au secours du spectacle. Pourtant, l’idée générale est assez convaincante : dans une atmosphère métallique et claustrophobe, tachée de sang, l’amour. Le contraste est pertinent, la lecture est, en soi, excellente. Le troisième acte est aussi d’une grande beauté avec les plaintes d’Elvira écrits sur le fond de la scène. Mais cela ne prend pas vraiment : le jeu des chanteurs est surfait, alors que le parti pris appelle une autre approche. Et il y a hélas d’autres idées qui sont bien moins appropriées : le décor ne cesse de glisser horizontalement au premier acte. Pour amusant que cela soit, la proposition fait moins sens que ce qu’elle voudrait laisser croire. La superposition des lieux, en faisant descendre les remparts – soldats en poste – depuis le haut de la scène, est d’un apport plus que discutable. Enfin, cette étrange lecture de la fin : Arturo meurt, et, dès le « Suon d’araldi », c’est une Elvira en pleine folie qui imagine cette fin heureuse, et chante « Ah ! sento, o mio bel angelo » en duo avec un Arturo en coulisses. L’idée, assez brillante, est hélas plutôt mal rendue, et Diana Damrau a beau bouger bras et jambes pour mimer la folie : ce qui devait être une apothéose nous laisse sur notre faim.
Il restait heureusement, pour racheter un peu cette soirée en demi-teinte, la baguette de Jesús López Cobos aux commandes d’un excellent Orchestre de la Suisse Romande. Dans une dynamique générale enlevée, parfois nerveuse, attentive, sachant faire briller la palette des couleurs aussi bien harmoniques qu’orchestrales de Bellini, il nous aura offert une fort belle lecture de la partition, nous rappelant encore une fois – si besoin était – la richesse extraordinaire de cette ultime opéra du compositeur. Et c’est bien à l’orchestre que l’on doit les plus beaux moments de la soirée.