Francis POULENC (1899-1963)
DIALOGUES DES CARMELITES
Opéra en trois actes et douze tableaux
Texte de la pièce de Georges Bernanos
Œuvre inspirée d’une nouvelle de Gertrude Von Le Fort et
d’un scénario du R.P. Bruckberger et Philippe Agostini
Production du Théâtre du Capitole
Mise en scène, Nicolas Joel
Décors et costumes, Hubert Monloup
Lumières, Alain Vincent
Le Marquis de La Force : Nicolas Cavalier
Blanche, sa fille : Sophie Marin-Degor
Le Chevalier, son fils : Gilles Ragon
L’aumônier du Carmel : Leonard Pazzino
Le geôlier : Olivier Grand
Madame de Croissy, prieure du Carmel : Sylvie Brunet
Madame Lidoine, nouvelle prieure : Isabelle Kabatu
Mère marie de l’Incarnation : Suzanne Resmark
Sœur Constance de Saint-Denis : Anne-Catherine Gillet
Mère Jeanne de l’Enfant Jésus : Qiu Lin Zang
Sœur Mathilde : Catherine Alcoverro
Un officier : Daniel Djambazian
Premier commissaire : Christophe Mortagne
Deuxième commissaire : Paul Kong
Thierry, laquais : Bruno Vincent
Monsieur Javelinot, médecin : Yves Boudier
Orchestre National du Capitole
Chœur du Capitole
Direction : Alfonso Caiani
Direction musicale, Patrick Davin
Toulouse, le 6 décembre 2009
Dans le respect de la Règle
Conçue en 1995 pour l’espace de la Halle aux Grains, cette production des Dialogues des Carmélites n’a pas pris une ride. Le décor unique du regretté Hubert Monloup découpe toujours en fond de scène ses portiques monumentaux avec la voûte en ogive et les pans coupés qui suggèrent aussi bien cloître et contreforts que couperets de gigantesques guillotines. La mise en scène de Nicolas Joel, reprise avec soin par Stéphane Roche, réduit les accessoires au strict nécessaire, éliminant ainsi les éléments extérieurs qui pourraient distraire de l’essentiel. Ni riche bibliothèque ni chapelle à montrer avant et après leur mise à sac, pas de marmite supplémentaire pour sauver le ragoût brûlé. Ce parti pris de dépouillement, qui s’accorde avec la règle d’austérité du Carmel, favorise la fluidité des enchaînements d’uns scène et d’un tableau à l’autre. Sur le vaste plateau les différents personnages se révèlent avec clarté, et l’isolement physique semble la traduction de la solitude morale. De surcroît ce respect de l’esprit de l’œuvre tire parti au maximum des contraintes liées au lieu atypique. On comprend que le spectacle ait été couronné par la critique à sa création.
L’histoire tragique de ces religieuses, on le sait, repose sur des événements réels, seul le personnage de Blanche de la Force étant de fiction. Leur mode de vie était alors – est toujours – ultra minoritaire. D’où vient alors l’impact conservé par l’opéra ? Que l’on croie ou non à une transcendance, leurs faiblesses sont les nôtres, confrontés comme elle à l’aventure de la vie et au mystère de la mort et face à l’inconnu nous sommes comme elles, révoltés, épouvantés ou confiants. C’est pourquoi le potentiel d’émotion du texte de Bernanos et de la musique de Poulenc reste intact un demi-siècle après la création de l’opéra. D’où le risque d’excès dans le pathos.
La production de Toulouse évite avec brio l’écueil. Sylvie Brunet compose une Madame de Croissy saisissante et juste, renonçant avec sagesse et bon goût à poitriner. Manquant peut-être un peu de fragilité au premier acte, la Blanche de Sophie Marin-Degor est parfaite ensuite dans son personnage contradictoire, dont la voix homogène traduit les élans et les angoisses. Anne-Catherine Gillet, Constance extravertie et visionnaire émouvante, semble avoir retrouvé sa luminosité et sa fraîcheur vocales. Isabelle Kabatu est une nouvelle prieure de luxe, à la projection et à l’étendue vocale impeccables. Seule Suzanne Resmark en Mère Marie déçoit quelque peu, par des engorgements, une diction très appliquée, et un personnage dont la brusquerie confine à la brutalité. Qiu Lin Zang et Catherine Alcoverro sont marquantes dans les brèves interventions de Mère Jeanne et de sœur Mathilde.
Réduits à la portion congrue, les hommes font bonne figure. Certes, Nicolas Cavalier manque un peu du poids qu’Alain Vernhes conférait au Marquis de La Force, mais le chant est propre et l’attitude digne à souhait. Gilles Ragon ne chante peut-être pas le Chevalier en ténor di grazia, comme Poulenc en aurait exprimé le souhait, mais son personnage vibre des emportements de la jeunesse et la scène de l’entrevue avec sa sœur au Carmel est fort réussie. Christian Jean, auquel le livret de salle rend hommage puisque comme on le sait il est décédé brusquement en juin dernier, devait comme en 1995 chanter le rôle de l’aumôner. Leonard Pezzino lui succède avec son efficacité coutumière.
On ne peut que louer la préparation du chœur des Carmélites par Alfonso Caiani. L’orchestre aussi fait merveille sous la direction d’un fin connaisseur de l’opéra de Poulenc, Patrick Davin, dont le programme de salle publie d’intéressantes déclarations. Dans un dispositif le privant de fosse couverte, le chef cherche sans cesse à contrôler l’intensité sonore de l’imposant effectif orchestral pour que sur le plateau on puisse chanter sans forcer. Il n’y réussit pas toujours, d’où parfois des passages où le sens se perd dans le cri. Mais l’impression dominante est celle d’un équilibre, même instable, et d’une lecture musicale qui respecte toutes les nuances. Le prélude du tableau final, par exemple, sonne hollywoodien d’une manière qui eût vraisemblablement ravi le compositeur.
La représentation s’achève par le tableau saisissant de la mort des Carmélites ; la tension contenue jusque là – pas un tousseur ! – se libère en applaudissements interminables qui saluent probablement autant que les artistes Bernanos et Poulenc !
Maurice Salles