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STRAUSS, Daphné — Berlin (Staatsoper)

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Spectacle
4 mars 2023
Plaine de désespoir

Note ForumOpera.com

2

Infos sur l’œuvre

Tragédie bucolique en un acte

Musique de Richard Strauss

Livret de Joseph Gregor

Création à l’Opéra de Dresde, le 15 octobre 1938

Détails

Mise en scène, décors, costumes, lumières

Romeo Castellucci

Peneios

René Pape

Gaea

Anna Kissjudit

Daphne

Vera-Lotte Boecker

Leukippos

Linard Vrielink

Apollo

Pavel Cernoch

Staatsopernchor

Staatskapelle Berlin

Direction musicale

Thomas Guggeis

Berlin, Staatsoper, jeudi 2 mars 2023, 19h30

Berlin est aujourd’hui une des quelques places où l’on peut entendre des opéras rares de Strauss ; Die ägyptische Helena (2016), Die Liebe der Danae (2016), pour ne citer que les plus récents, donnés au Deutsche Oper. Cette fois-ci c’est Unter den Linden que l’on peut entendre l’un des derniers opus straussiens, Daphne, dans une nouvelle production confiée pour l’occasion à Romeo Castellucci.

Si Daphne n’est pas considérée comme l’une des pièces majeures de Strauss, c’est sans nul doute que le livret, pourtant sans cesse retravaillé par lui-même et Josef Gregor, possède trop de faiblesses pour susciter une inspiration pourtant bien présente… dans les parties purement orchestrales. Il est symptomatique que la plus belle page de l’œuvre, la scène de la Transformation (Verwandlungsszene), qui conclut l’ouvrage, soit exclusivement confiée à l’orchestre. Comme si, débarrassé des innombrables bavardages inutiles, Strauss laissait enfin libre cours à une veine mélodique encore intacte.

Cette scène conclusive est admirablement rendue par un orchestre de la Staatskapelle, dirigé ce soir par Thomas Guggeis, plus inégal par ailleurs. La scène introductive nous a ainsi déçu par un cor anglais fébrile et comme dénué de poésie.

Romeo Castellucci transpose ; rien d’étonnant à cela. Nous ne sommes plus dans la Grèce antique, mais au milieu d’une plaine éteinte, gelée, où règne le désespoir ; le cor anglais qui doit inviter à la fête, sonne dans le vide. Nous sommes dans un paysage enneigé au bord de l’apocalypse, sans que nous sachions d’où celle-ci viendra. Tout, le climat, le froid, le temps s’est figé. Cela donne, avec la neige, un tableau abstrait, et les flocons qui tombent de façon presque ininterrompue, une heure trois quart durant, font penser au pointillisme d’un Seurat. Cette neige sert aussi à masquer les choses, ce qui contraint le spectateur à être toujours très attentif à ce qu’il discerne pour décrypter les scènes. Le monde figuré est une Antiquité en ruine ; les restes, frises, colonnes, torses sont ceux d’un univers enfoui, englouti.


© Matthias Baus

Daphné apparaît comme une frêle jeune femme ayant un besoin instinctif et impérieux d’un contact corporel avec la nature ; elle va de ce fait se retirer de plus en plus du monde social autour d’elle. La nymphe grecque devient notre contemporaine qui assume une rupture totale avec son environnement : là où l’autre verrait dans le froid et la neige une sorte de danger, Daphne montre son attirance. Relations sociales et contact avec la nature semblent être deux notions incompatibles. Daphne reste en permanence à l’extérieur du monde. Son corps est tenu à bonne distance des autres personnages, elle est d’une extrême timidité, qui se transforme en relation extatique avec l’arbre, qui tient lieu de nature entière. Sa posture est plus une forme de spiritualité que de protestation. Pour se fondre dans la nature, il faut renoncer à toute protection, à tout vêtement épais ; arrivée sur scène emmitouflée d’un manteau, de gants, bonnet, bottes et gilet, elle se dépouillera très vite pour faciliter le contact physique avec la neige, la terre. De la même façon elle rejette l’attention que lui portent les hommes. Elle se soucie peu de ce que les autres pensent. Elle ne participe à la fête que parce qu’elle y est contrainte. Dans la scène finale, elle prend littéralement racine dans la terre, dans l’humus et finit par y disparaître.


© Matthias Baus

Pour être totalement explicite et signifier le point de non-retour auquel notre civilisation est parvenue, Castellucci fait apparaître, au moment de la mort de Leukippos, une immense couverture du livre The Waste Land (La terre vaine) que le  Prix Nobel de littérature américain T.S Eliot publia en 1922 . Entre en effet en résonnance le monde de crise, de stérilité dans la société occidentale.

Le rôle-titre est un des plus ardus de la littérature straussienne ; par sa densité, il nécessite une endurance et une concentration de tous les instants. Vera-Lotte Boecker possède ces deux qualités, et d’autres encore. Il y a suffisamment de puissance pour s’imposer face à un orchestre parfois tonitruant, il y a aussi la légèreté, la simplicité, la fragilité même qui doivent transparaître dans ce rôle. Belle découverte pour notre part que cette cantatrice qui n’a pas encore dépassé les frontières germanophones (elle se produit souvent à Vienne et y sera Lulu prochainement), et que le magazine Opernwelt a élue « Sängerin des Jahres 2022 ».

Elle est fort bien entourée par ses deux parents : Peneios est tenu par René Pape. La chaleur absente de la scène se retrouve dans ses graves et ses mediums ; il est un père impuissant à ramener sa fille dans son monde à lui, celui où il faut se protéger de l’hostilité de l’environnement. Anna Kissjudit, que nous avions tant appréciée ici-même il y a quelques mois en Erda, est la mère, Gaea. Elle nous éblouit encore par les graves et la diction appliquée, totalement audible. Décidément, cette jeune contralto venue du froid méritera notre attention dans les années à venir.

Forte déception en revanche pour les deux ténors, très en-dessous du reste du plateau, à un point même inhabituel ici. Ce ne sont ni Linard Vrielink (Leukippos), ni Pavel Černok (Apollo) qui sont blâmables (timbres et musicalité irréprochables), mais c’est que ces voix ne sont pas du tout dimensionnées pour la vastitude de la salle. Et donc, le déséquilibre est permanent dans les interactions qu’ont ces deux personnages primordiaux avec les autres protagonistes, sans parler de l’orchestre qui les submerge à la moindre vague. Tout cela est très dommageable à l’ensemble et le public ne s’est pas privé de l’exprimer à l’issue de la représentation.

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Livret de Joseph Gregor

Création à l’Opéra de Dresde, le 15 octobre 1938

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Mise en scène, décors, costumes, lumières

Romeo Castellucci

Peneios

René Pape

Gaea

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Daphne

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Leukippos

Linard Vrielink

Apollo

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