Fidèle à son amour pour ce compositeur, le chorégraphe John Neumeier revient à Mahler. Après en avoir chorégraphié presque toutes les symphonies, il aborde aujourd’hui Le Chant de la terre et l’on espérait que la mélancolie profonde et les emportements contrariés de ces pièces trouveraient un écho et une illustration intime dans l’univers esthétique du directeur du Ballet de Hambourg. Hélas, comme souvent, Neumeier peine à convaincre dans l’abstraction tant son vocabulaire chorégraphique tourne à la répétition de mouvements volontairement maladroits ; il a vraiment besoin d’un fil narratif pour canaliser son esthétique et ses intentions. On est donc loin d’une de ses grandes réussites mahleriennes comme la Mort à Venise présentée au Châtelet il y a quelques années.
Le très fin fil narratif ici est porté par le personnage de Mathieu Ganio (le seul ce soir à composer un personnage investi d’émotions au-delà de l’animation physique) : on découvre sa relation homosexuelle tumultueuse durant le prologue et l’on suit ses pérégrinations sentimentales, parfois masculines, parfois féminines. Une lune de carton veille sur ses péripéties qui ont pour seul décor un plan de gazon incliné. Au sein de ce cadre, beaucoup d’éléments sont difficilement compréhensibles (et l’absence de surtitrage forçant le spectateur à plonger le nez dans son programme pour lire les traductions et tenter d’y trouver une clé de lecture n’aide évidemment pas) : l’anonymisation des personnages féminins (à peine distinguables par leur costume), la distinction entre les hommes à veste rouge et ceux à veste beige, la raideur de certains mouvements volontairement mécaniques, la présence de la lune ou tout simplement la raison d’être des personnages secondaires. On peut alors simplement penser que tout cela n’a pas à avoir de sens, que c’est pure abstraction, beauté libre, mais il nous semble que ce n’est pas faire justice au travail d’un chorégraphe dont les œuvres ont toujours une profonde portée biographique ou du moins intime.
Sur le versant musical, le tableau est aussi contrasté : l’orchestre de l’Opéra de Paris est manifestement heureux de jouer cette musique, et même si la direction de Patrick Lange ne brille pas d’une originalité particulière, elle est très attentive et délicate, ce qui constitue toujours un challenge dans les « opéras » chorégraphiés, où le chef doit être attentif à la fosse, aux chanteurs mais aussi aux danseurs. Pour le chant, si le baryton pudique de Paul Armin Edelmann est très émouvant et stylé, notamment dans un adieu empli de soupirs de contrition, le ténor puissant mais nasal de Burkhard Fritz semble ne comprendre que la moitié de ses textes : très bien pour les emportements de la chanson à boire ou de l’ivrogne, mais pour leurs doutes et la tristesse qui surgit à chaque enthousiasme trop prononcé, on repassera.
Au final, on sort donc déçu d’un dialogue chorégraphique (plutôt que mise en scène) avec une œuvre emblématique : en écho à la mélancolie de la musique, on n’a souvent que la maladresse travaillée des mouvements face aux révolutions de la lune, sans bien comprendre pourquoi.