Aux débuts des années 1960, un jeune ténor en quête d’expériences formatrices rejoignait la troupe de l’Israeli Opera. Il y resta trois ans, avant de faire comme la Belle Hélène d’Offenbach mais non pour les mêmes raisons « quelque bruit dans le monde ». Son nom ? Placido Domingo. Depuis, la première – et unique – institution lyrique israélienne brandit ce nom comme un talisman, voyant derrière ce que d’autres prendraient pour une simple anecdote un signe du destin. C’est que les symboles ont la vie dure au pays des saintes écritures. Puis l’opéra a eu suffisamment de mal à s’implanter en Terre Promise pour qu’on ne traite pas à la légère tout ce qui peut aider à son établissement durable. Aujourd’hui, avec 18 000 abonnés et un taux de remplissage égal à 100%, il n’est plus question comme au début des années 1980 de couper les subsides. Hébergé dans le Tel Aviv Performing Arts Center, une salle moderne qui s’apparente au Grand Théâtre de Provence par la taille et l’architecture intérieure, l’Israeli Opera propose une saison digne d’intérêt couronnée en juin par la représentation d’un tube du répertoire au pied du rocher de Massada. Encore un symbole, et non des moindres.
Avant d’applaudir du 12 au 17 juin prochains sur les rives de la Mer Morte Elena Mosuc dans La Traviata, une série de représentations de La Bohème vient aligner au sud de la Méditerranée quelques noms qui font aussi les beaux soirs du nord.
Stefano Mazzonis di Palafrera, directeur par ailleurs de l’Opéra Royal de Wallonie, signe comme on pouvait s’y attendre une mise en scène figurative, que l’on dirait respectueuse à la lettre du livret si un certain nombre d’extrapolations ne venaient enjoliver le propos. Mimi écoute aux portes dès le début du premier acte, se fait débarquer sans plus de façon d’une voiture au quatrième avant de grimper essoufflée les escaliers de la mansarde. Tout cela est bien imaginé mais quelle est l’utilité de ces scènes parallèles, sinon détourner l’attention d’une direction d’acteurs nourrie de conventions ?
Jose Bros, ténor catalan connu pour son interprétation des grands rôles donizettiens, s’aventure dans un répertoire étranger à sa vocalité. L’émission haute, la projection claironnante, le timbre métallique sont-ils caractéristiques constitutives de Rodolfo ? Oui semblent affirmer les applaudissements d’une assistance conquise. L’aigu laborieux, la difficulté à insuffler au poète une ardeur juvénile viennent tempérer l’enthousiasme. Ionut Pascu est moins connu du grand public. Son Marcello famélique en est sûrement l’une des raisons. Noah Briger garde les yeux rivés sur le chef, comme s’il découvrait la partition de Schaunard (que sauf erreur de notre part, il a déjà interprété six fois dans cette même production).
Mais Carlo Striuli chante la « Vecchia zimarra » avec cette noblesse débonnaire qui fait les justes Colline. Alla Vasilevitsky n’est sans doute pas la plus grande voix du monde : Musetta n’a d’ailleurs pas tant de prétentions. Le timbre accroche, le personnage s’impose, mutin, désinvolte, bonne fille dans le fond. Le chant, nuancé et précis, obéit à la composition. Partageant l’affiche avec Maria Agresta et Nuccia Focile, Ira Bertman est une Mimi plus dramatique que lyrique. La densité du médium, la solidité, l’impact laissent entrevoir un tempérament qui ne saurait se satisfaire longtemps de broder des fleurs. L’aigu, même, n’a pas le rayonnement que l’on attend du rôle. Il lui faut un temps de déclic pour qu’il s’épanouisse, intense et péremptoire. L’émission sait cependant s’alléger pour exprimer autant que possible la délicatesse des sentiments.
Daniel Oren à sa Bohème en main, lui qui la dirigeait à Paris pas plus tard que le mois dernier. A la tête des forces orchestrales locales, il paraît davantage inspiré que sous le dôme glacé de Bastille. Les contrastes sont soulignés, la poésie évoquée, le tout avec une éloquence qui n’a rien de convenu. L’excellence de l’Israeli Opera Chorus augmenté des jeunes voix du Young Efroni Choir témoigne de la bonne santé de la maison. La greffe lyrique semble avoir pris en Israël. Quand on sait le message de culture, de paix et de prospérité sous-tendu par l’opéra, on ne peut que s’en réjouir.