Les Cris de Paris sont déjà connus par un large pan du public pour ses productions ambitieuses de répertoires variés, n’hésitant pas à se spécialiser par exemple dans la musique vénitienne des XVIIe et XVIIIe siècles – comme leur dernier album Passions – ou en proposant des créations d’aujourd’hui polychorales et spatialisées. C’est en prolongement de leur parcours déjà riche qu’ils ont présenté un programme singulier à la Scène nationale de Saint-Quentin-en-Yvelines : les Psaumes de David d’Heinrich Schütz (1585-1672), augmentés de quelques extraits des Symphoniae Sacrae et des Cantiones Sacrae, dont les textes sont issus du Cantique des Cantiques, attribué au roi Salomon.
Un programme réjouissant d’autant qu’il n’est que peu donné. Cette rareté s’explique entre autres par l’effectif important qu’il requiert : 16 chanteurs et 17 instrumentistes, dont la présence de saqueboutes et des doulcianes. Composé d’œuvres sacrées, il pourrait apparaître édifiant, l’attachement du compositeur à la foi luthérienne étant important ; mais il révèle en réalité une subtile religiosité, ces œuvres ayant été écrites lorsque le compositeur a connu aussi son grand amour terrestre, son épouse Magdalene.
D’un même élan, le concert embrasse la ferveur humaine et divine. Les partitions vibrantes sont enveloppées d’une pieuse réserve que Geoffroy Jourdain a su parfaitement interpréter. Sa direction, toujours précise, lui permet de maîtriser les nuances singulières de cette musique allemande, dont la puissance expressive repose plus dans une tension harmonique que dans l’abondance mélodique.
Et pourtant, l’influence Italienne est présente partout – Schütz avait pour professeur Giovanni Gabrieli, maître de la polychoralité vénitienne. Et le spectacle a le mérite d’avoir de façon effective tenté d’en rendre compte. La spatialisation proposée par les musiciens, fidèle à l’intention du compositeur, est pertinente car elle permet de restituer des effets sonores contrastés, notamment dans l’alternance des solistes et des chœurs, chanteurs ou instrumentistes. Malheureusement, sans doute la salle n’est pas la mieux adaptée pour ce type d’exercice. L’acoustique, pas mauvaise, n’est pas celle néanmoins d’une église, empêchant de savourer la réelle puissance vocale des chanteurs, un peu étouffée. De même pour l’impact sonore de la polychoralité, les choeurs se trouvant limités par la taille de la scène, et malgré l’utilisation momentanée du balcon.
Cela n’a toutefois pas empêché de saisir l’aspect par ailleurs grandiose de la musique. Les solistes ont ravi les spectateurs de leur excellence. Ils ont suivi avec justesse les difficultés de la partition, notamment en respectant la sobriété de rigueur dans l’interprétation malgré une écriture riche d’ornements.
Le parti pris de diffuser dans des enceintes les textes avant chaque pièce est également bien perçu. Entendre les voix est l’occasion de profiter de ce rapport intime contenu dans les poèmes et crée un contraste intéressant avec le spectaculaire de la musique. Les récitants, des comédiens de la talentueuse compagnie La vie brève, menée par Jeanne Candel et Samuel Achache, savent trouver le ton juste : sans exubérance ni emphase, ils transmettent toujours avec délicatesse le souffle du désir, charnel ou mystique, selon l’aspiration de l’auditeur. La traduction moderne choisie d’Olivier Cadiot, épurée et sensuelle, achève de mettre à nu la puissance poétique de ces prières anciennes. Toutefois, sachant l’importance des textes bibliques dans la foi protestante, il aurait été également souhaitable de pouvoir réellement saisir justement ce mouvement de mise en musique, en ayant les textes sous les yeux.
Le spectacle est évidemment une grande réussite et c’est une réelle chance de pouvoir l’entendre dans une scène dédiée à l’excellence du spectacle vivant. A la fin du concert, Geoffroy Jourdain annonce que la soirée inaugure une résidence de trois ans à la Scène nationale de Saint-Quentin-en-Yvelines. Une résidence qui s’annonce donc déjà riche et prometteuse.