Retour à Laon ce vendredi 23 septembre. Le curé de la Cathédrale Notre-Dame est toujours aussi heureux de manifester son bonheur d’accueillir le public surtout qu’à la différence du concert d’ouverture, le programme de la soirée est d’inspiration religieuse et l’hommage à Notre-Dame explicite avec le Stabat Mater de Poulenc !
François-Xavier Roth a prêté son orchestre Les Siècles au chef de l’ensemble vocal AEDES, Mathieu Romano. Ce dernier a composé un programme qui, sur le papier, paraît fait de bric et de broc (Janequin y côtoie Charles Ives, Gesualdo Rodion Chtchédrine*) et qui se révèle être, au contraire, un magnifique parcours, un chemin de foi : l’espoir (Janequin), la désolation (Gesualdo) la confirmation (Pärt), la question sans réponse (Ives), la ferveur (Messiaen) pour culminer dans l’éploration du Stabat Mater.
Un chemin de foi
Toutes les pièces sont enchaînées, quasiment sans interruption. Sans ruptures harmoniques d’un morceau à l’autre, comme s’il était naturel de passer de Janequin à Chtchédrine et du Russe à Gesualdo… Au risque d’une certaine uniformité. Les nuances, les accents, pourraient être plus prononcés, les contrastes entre les époques et les styles plus accusés. On peine à distinguer le vieux français de Janequin du russe de L’ange scellé puis de l’italien de Gesualdo.
Et pourtant, une fois de plus, on tire son chapeau aux chanteurs de l’ensemble AEDES – ils sont 32 ce soir – et à leur chef et fondateur Mathieu Romano. Voici une formation fondée en 2005 capable de s’adapter à toutes les situations, tous les contextes, tous les répertoires, avec un égal bonheur. Voici des artistes qui ont depuis longtemps compris qu’on peut attirer, intéresser de larges publics par des propositions qui sortent des sentiers battus.
Le programme de ce vendredi à Laon en était la parfaite illustration : rien vraiment de « grand public » (concept ridicule qui n’est avancé que par ceux qui ne vont jamais au concert et ignorent ce qu’attend précisément le public !), quelques noms plus connus ou familiers que d’autres (Messiaen, Poulenc), des enchaînements, audacieux à priori et finalement totalement convaincants à l’écoute. Moments magiques que la flûte qui se déploie du fond de l’église à la fin du Chtchédrine, ou angoissants comme la trompette qui introduit la « Question sans réponse» de Charles Ives. La présence du soprano fruité de Marianne Croux dans le premier des Poèmes de Mi de Messiaen nous fait regretter la brièveté de l’extrait de ce cycle où s’illustrèrent naguère Françoise Pollet et Pierre Boulez.
Mater dolorosa
Mais on attend évidemment ce qui va constituer la conclusion et l’acmé de ce programme : le Stabat Mater de Poulenc. Lorsque son ami, le peintre et décorateur Christian Bérard (1902-1949), meurt brutalement en 1949, Poulenc songe d’abord à un requiem, mais devant la Vierge noire de Rocamadour, celui qui se définissait lui-même comme « moine ou voyou », choisit le texte médiéval du Stabat Mater et compose, en 1950, une œuvre d’envergure – la seule de ce type avec le Gloria créé dix ans plus tard – pour soprano solo, chœur et orchestre, en douze parties.
- Stabat mater dolorosa (Très calme) – Chœur
- Cujus animam gementem (Allegro molto – Très violent) – Chœur
- O quam tristis (Très lent) – Chœur a cappella
- Quæ mœrebat (Andantino) – Chœur
- Quis est homo (Allegro molto – Prestissimo) – Chœur
- Vidit suum (Andante) Soprano (ou mezzo-soprano) – Chœur
- Eja mater (Allegro) – Chœur
- Fac ut ardeat (Maestoso) – Chœur a cappella
- Sancta mater (Moderato – Allegretto) – Chœur
- Fac ut portem (Tempo de Sarabande) Soprano – Chœur
- Inflammatus et accensus (Animé et très rythmé) – Chœur
- Quando corpus (Très calme) Soprano – Chœur
Douze parties qui sont du pur Poulenc, alternance de gravité et de légèreté – la douleur de la mère du Christ n’est pas toujours tragique, plutôt révoltée ou contemplative. Marianne Croux fait d’autant moins un numéro que le soprano solo n’intervient jamais seul. Elle en laisse plus d’un au bord de l’émotion lorsque s’achève ce Stabat mater, sa voix si douce au milieu de celles d’un chœur qui se fond dans le silence.
On a pu regretter, dans les épisodes les plus puissants, que le chœur ne soit pas plus nombreux quand l’orchestre se déploie, regret vite effacé eu égard à l’engagement collectif des interprètes, chanteurs et musiciens, et à la performance du maître d’œuvre d’un programme exemplaire.
La soprano Marianne Croux, Les Siècles et l’ensemble AEDES dirigés par Mathieu Romano © Robert Lefèvre/Festival de Laon
Mathieu Romano, pour remercier un public remarquablement attentif et silencieux, offre en bis une chanson de Clément Janequin, les musiciens des Siècles debout se joignant aux chanteurs d’Aedes :
https://www.youtube.com/watch?v=e6PmzqETnIA
* précision de linguiste : l’alphabet russe comporte une lettre – Щ – qui phonétiquement se transcrit en français par 5 lettres chtch !