Si Donizetti se faisait fait rare à l’Opéra de Vienne avec Lucrezia Borgia, ce n’est (vraiment) pas le cas de Puccini avec Tosca. Inaugurée en 1958, la production de Margarethe Wallmann totalise 538 représentations au compteur ! De quoi faire frémir d’horreur une frange du public parisien criant au scandale dès la 3e reprise d’un spectacle… Ce serait légitime si la mise en scène sombrait dans la ringardise et si les distributions successives ne faisaient pas un tout petit peu rêver. Or, et c’est (parfois) la magie du théâtre de répertoire, tel n’est pas le cas.
Si elle est vieillissante, la mise en scène de Margarethe Wallmann (1904-1992) n’en est pas moins terriblement efficace. Dans ce drame où la parole, le chant et l’action sont si étroitement combinés, alors que toute transposition menace de faire apparaître des incohérences, la fidélité absolue au livret est bien souvent le moyen de ne jamais risquer de se démoder. L’église de Sant’Andrea della Valle, l’appartement du Palais Farnèse, la terrasse du Château Saint-Ange : tout y est, et généralement de bon goût (seul l’interminable défilé de bigoterie de la fin de l’acte I est en trop). L’on trouvera facilement que tout cela sonne faux, que la Madone est en carton, que les trompe-l’œil sont grossiers et que les baisers sont feints : c’est pourtant de ces faiblesses que se nourrit la beauté de l’ensemble, comme un pied de nez
La justesse scénique ne trouve malheureusement que peu d’écho dans la fosse. La direction de la canadienne Keri-Lynn Wilson tombe très rapidement dans la facilité du forte permanent : c’est du grand spectacle, et Puccini n’a jamais été aussi proche de John Williams. Mais c’est bien peu rendre justice à la partition de Tosca que de l’aborder avec un tel premier degré.
Catherine Naglestad est une très belle Tosca, certainement plus à l’aise dans le décor d’un théâtre à l’italienne que dans celui d’un amphithéâtre antique. Le vibrato est parfois un peu trop présent, mais la ligne de chant est fermer, les aigus assurés. Sans craindre d’endosser le costume que revêtirent dans les mêmes lieux Birgit Nilsson, Sena Jurinac, Montserrat Caballé ou Renata Scotto, la soprano américaine est convaincante jusqu’à son saut dans le vide final. Néanmoins, on aurait pu attendre un peu plus de passion – voire de risques – dans le « Vissi d’arte », applaudi presque par automatisme par un public très international.
Pour succéder aux Mario Cavaradossi de Franco Corelli, de Luciano Pavarotti, ou plus récemment de Neil Shicoff, l’on a choisi Massimo Giordano. L’italien n’a pourtant manifestement pas les moyens de ses prédécesseurs. Toutes les notes du rôle sont là, mais avec quelle peine ! Les aigus sont systématiquement pris par en dessous, les couleurs sont absentes : ni le « Recondita armonia » ni le « E lucevan le stelle » ne passent la rampe. Au moins est-il un amoureux crédible, de jeu et de physique… Par opposition, le Scarpia de Falk Struckmann est particulièrement réjouissant. Pour paraphraser Bernadotte, c’est « une voix de fer dans un timbre de velours », et deux actes lui suffisent pour être la véritable attraction de cette soirée. Ne serait-il peut-être pas assez méchant ? Tant mieux : il trouve dans son souffle et son timbre la gravité que tant d’autres ont cherché dans un jeu de scène trop monolithique.
Du reste de la distribution, il y a peu à redire, si ce n’est la voix serrée de l’Angelotti de Janusz Monarcha ou bien la redoutable vigueur des lieutenants de Scarpia.
En bref, une très belle soirée comme il en existe des centaines d’autres par saison dans ce miraculeux théâtre, où routine n’a presque jamais rimé avec ennui.