Oubliés Les Huguenots ? Absent des scènes européennes, ou du moins françaises, depuis 60 ans, ce fleuron d’un genre aujourd’hui mal-aimé, ainsi que l’affirme Olivier Py dans le programme de cette reprise strasbourgeoise ? Pas exactement. On a pu ces dernières années applaudir à Metz et à Liège le chef d’œuvre de Meyerbeer. Disons plutôt que jamais depuis un certain temps on ne s’était donné autant de mal pour rendre au grand opéra français ses lettres de noblesse.
De la mise en scène d’Olivier Py, on a déjà longuement débattu lors de la création bruxelloise la saison dernière. Noir, or et chair (chère) selon Claude Jottrand dans nos colonnes (voir recension), elle a le mérite de poser un regard actuel sur l’ouvrage sans le dénaturer. Ainsi ces scènes d’orgie et de bain représentées de manière beaucoup plus explicites qu’elles n’ont dû l’être autrefois mais fidèles à l’esprit de l’œuvre. Certains parti-pris peuvent agacer : le mouvement incessant des façades mobiles du décor, l’entrée et sortie des choristes par un passage exigu qui rompt la fluidité du mouvement, l’inévitable parallèle entre le massacre des protestants et l’holocauste, l’abus de lumières sur scène et dans la salle (la rampe de spots durant l’ouverture est carrément aveuglante). Détails qui, sur une durée de près de cinq heures, ne nuisent pas à la lisibilité du propos et à la qualité générale du spectacle.
A Strasbourg, comme à Bruxelles, on n’a pas lésiné sur la distribution. On retrouve Philippe Rouillon en Saint-Bris, toujours éclatant de présence vocale et de diction, et Mireille Delunsch en Valentine, un rôle qui ne tombe pas exactement dans sa voix mais dont elle s’empare avec la conviction qui fait le prix de ses interprétations.
Parmi les nouveaux venus, Karine Deshayes se taille un joli succès en Urbain avec des notes aigues à faire pâlir de jalousie un soprano et un rondo au deuxième acte habilement négocié même si l’air ajouté a posteriori pour le contralto de Marietta Alboni ne correspond pas exactement à la tessiture de la mezzo-soprano française. La Marguerite de Laura Aikin frôle le sans-faute. Joli exploit quand on sait le nombre de difficultés qu’accumule le rôle. La diction n’est pas irréprochable mais le chant est brillant et le timbre suffisamment nourri pour ne pas faire de la reine une soubrette. Sans démériter, Marc Barrard (Nevers) et Wojtek Smilek (Marcel) ne laissent pas un souvenir impérissable. Peut-être parce que Gregory Kunde, malgré lui, leur vole la vedette masculine. Le ténor, emprunté scéniquement durant les deux premiers actes, prend ensuite son envol lorsque le caractère héroïque de Raoul rejoint son propre tempérament. Le duo du IV enchaîné sans ciller avec le grand air du V ne parvient pas à ébranler sa vaillance. Chaque note, projetée à pleine voix, est un uppercut ; l’énergie et la puissance estomaquent. Auparavant « la blanche hermine » a pu laisser sur leur faim les amateurs de suavités. Les délicatesses du contraltino rossinien appartiennent à une autre époque mais la précision belcantiste du trait demeure.
Ce qui rend également ces Huguenots mémorables, c’est le choix de la version quasi intégrale, soit –on l’a dit – près de cinq heures de musique. Tout en veillant à exalter le drame, Daniele Callegari joue de son propre aveu la carte de la transparence au risque parfois d’exposer à l’orchestre quelques sonorités moins plaisantes. Très sollicité, le Chœur de l’Opera national du Rhin donne le meilleur de lui-même dans les nombreux ensembles qui parsèment l’œuvre.
L’ovation qui accueille les artistes au tomber de rideau veut aussi saluer, n’en doutons pas, les moyens déployés par l’Opéra national du Rhin pour faire de cette reprise un événement. Souhaitons que le dynamisme et le courage de la première institution lyrique alsacienne stimulent d’autres maisons d’opéra moins audacieuses. Suivez mon regard.