A l’automne prochain sortira sous le label Aparté un nouvel album du duo Contraste, binôme formé en 2008 sur les bancs du CNSM de Paris par le pianiste Tristan Raes et le ténor Cyrille Dubois. Chacun depuis, en marge d’une carrière florissante, reste fidèle à l’engagement pris en faveur d’un genre trop délaissé : la mélodie, qu’elle soit française, allemande ou italienne. Liszt, au programme de ce nouvel album, concilie les trois langues. En fin de récital au Musée de l’Armée, le tandem offre un aperçu de l’enregistrement à venir à travers deux extraits : « Liebestraum » dans laquelle Cyrille Dubois met à profit son art de la nuance, de l’aveu le plus brûlant au murmure le plus doux, puis « Was Liebe sei », courte pièce où le piano prend le pas sur la voix en un pied-de-nez de notes vif-argent.
En attendant ce nouveau disque, le duo proposait dans le Grand Salon de l’Hôtel des Invalides un contrepoint musical à l’exposition Picasso et la guerre (jusqu’au 28 juillet) : cinq cycles de mélodies sur des poèmes et musiques d’artistes contemporains du peintre catalan dans lesquelles s’exprime l’esprit d’une époque. Rien d’inédit ou de foncièrement original dans le programme mais l’exaltation des affinités musicales entre la France et l’Espagne : Arthur Honegger et Francis Poulenc d’un côté, Isaac Albéniz et Manuel de Falla de l’autre ; une légèreté parfois douce-amère au nord de la Garonne combinée à une sensualité non dénuée de sentimentalité une fois passées les Pyrénées. L’occasion de rappeler aussi l’attraction exercée par Paris au début du 20e siècle sur des peintres, des écrivains et des musiciens. Cette fascination artistique demeure perceptible à travers l’écriture des compositeurs espagnols. La flamboyance ibérique s’y dilue dans l’eau trouble d’harmonies passées au lissoir du Faubourg Saint-Germain.
Dans ce corps à corps élégant, les poètes surtout s’affrontent. Cocteau souffre de la comparaison avec Eluard. Le texte des poèmes distribué en entrée de salle aide à le vérifier – non que la diction de Cyrille Dubois soit défaillante mais l’assemblage souvent alambiqué des mots ne favorise pas la compréhension naturelle des vers. Le Travail du peintre, où Poulenc s’amuse à tremper son pinceau dans les gouaches d’Eluard, se détache du programme par son pouvoir d’évocation. Est-il d’autres pages classiques qui donnent à voir ainsi la musique ? Honegger se met à la portée de Cocteau et ne se soucie que d’être charmant tandis que Manuel De Falla conclut ses Trois mélodies par « Seguidille », une espagnolade piquée de « Alza, Olà ! » où le timbre clair de Cyrille Dubois suggère la silhouette gracile de Gonzalve dans L’Heure Espagnole de Ravel.
Quelles que soient les réminiscences, pianiste et ténor offrent le même engagement. Il serait injuste que notre commentaire les sépare, tant leur duo puise son éloquence dans la conjonction de leurs talents. L’amateur d’art lyrique aurait tendance à porter davantage son écoute sur la voix, sur la gestion habile des registres ou sur le tracé d’une ligne souple dont rien ne vient infléchir la courbe. Ce serait erreur dans un répertoire où le piano n’est pas un simple faire-valoir, où le pianiste, à l’égal du chanteur, raconte. Ces pages ainsi interprétées, avec une intention sur chaque mot, une réflexion sur chaque note, rendent inique toute forme de procès pour mondanité. La mélodie française, genre mineur réservé à une élite désœuvrée dans le luxe fétide de salons poussiéreux ? Preuve est faite du contraire par un duo décidément talentueux.