Il est des soirs où l’on se dit que l’on aurait dû s’abstenir de se déplacer, tant la déception est cuisante et encore accentuée par l’impatience des retrouvailles avec une artiste aimée et admirée. Le récital de Waltraud Meier fait partie de ces expériences où l’on se demande pourquoi l’on en sort frustrée et un peu triste. En effet, il aurait suffi de bien peu de choses pour que la soirée fût parfaite. Peut-être aurait-il fallu être installée plus près : la magie aurait pu opérer… Las, force est de constater que la grande wagnérienne était manifestement dans un jour sans.
Tout commence par le choix du programme, qui est à deux exceptions près rigoureusement le même que celui donné, par exemple, à l’Opéra national du Rhin en 2007. Certes, les lieder sont magnifiques et les entendre à l’envi ne pose pas de problème, bien au contraire ; mais on ne peut s’empêcher de comparer les deux prestations. Le petit pincement ressenti à l’époque se transforme ici en véritable frustration. La voix, d’ordinaire si ample et sûre, autoritaire et merveilleusement modulée, d’un maintien remarquable, s’est révélée plutôt faible et parfois fragilisée, à la limite du déraillement, grippée en un mot ; c’est de saison, me direz-vous, mais tout de même…
Difficile dès lors de ne pas crisper l’oreille dans la crainte du dérapage fréquent tout au long d’une soirée où par ailleurs la belle allemande ne s’est pas montrée particulièrement expressive. Son sourire était aussi charmant que possible, certes, illuminant son beau visage, mais, pour une interprète dont les qualités d’actrice sont unanimement reconnues, l’étendue de son jeu était particulièrement restreinte. Ce qui est évidemment très dommage étant donné le contenu du récital où l’ampleur des émotions à disposition est rien moins qu’immense tant chez Strauss que chez Schubert ; souffrances amoureuses dans Gretchen am Spinnrade, murmures légers de l’eau et jeux de cache-cache avec la Truite, hymne à la nuit serein et apaisé dans Nachtstück, sans oublier la séduction, le mystère, la terreur et la mort du Roi des Aulnes. Quelle soirée nous aurait fait passer une Waltraud Meier au mieux de sa forme ! Au lieu de cela, on se surprend à confronter son interprétation avec celles de nos enregistrements de référence, en particulier pour les Vier letzte Lieder. Quant au Morgen susurré divinement quelques semaines plus tôt au même endroit par Renée Fleming (lire notre compte-rendu), celui-là confondait retenue et froideur.
Rien à dire cependant sur la diction et la prononciation d’une langue maternelle qui reste très naturelle et distincte lorsqu’elle la chante, évidente et pure. Quant à son partenaire attitré, Joseph Breinl, il faut louer la beauté et la précision de son jeu, idéalement placé pour accompagner au mieux une interprète dont il connaît les plus infinitésimales des réactions. Il les anticipe même et les magnifie par les contrastes de couleur : dureté ou moelleux, force ou délicatesse qui donnent l’impression qu’il fait quelque peu cavalier seul sur les planches du Festspielhaus.
Heureusement, les rappels ont permis de goûter quelques moments privilégiés : après Ich bin der Welt abhanden gekommen et Urlicht de Gustav Mahler dans la continuité de ce qui avait déjà été chanté, Waltraud Meier, comme soudain libérée, nous a offert un Abschied (Adieu) de Hugo Wolf où enfin, elle a montré quelle époustouflante tragédienne elle pouvait être. Du coup, son chant s’est révélé puissant, lavé des stridences passées, et élégamment juste. Bonne fille, elle nous a enfin envoyés au lit en nous interprétant la si simple mais archétypale berceuse Guten Abend, gute Nacht.
Malheureusement, ces deux derniers tableaux ne sauraient à eux seuls faire oublier les réserves précédemment émises… Rendez-vous est pris pour une nouvelle prestation – scénique cette fois – de la superbe artiste.