Après l’Opéra Comique (où elle a été créée) puis Nice, c’est l’Opéra national du Rhin qui accueille la production de Lakmé imaginée par Laurent Pelly, avec, comme à Paris, Sabine Devieilhe dans le rôle-titre.
On ne reviendra pas sur les choix esthétiques du metteur en scène déjà décrits en détail par mes confrères, et marqués par un certain ascétisme qui atténue l’exotisme du livret. Si nous avons été sensible à l’esthétique du premier acte et son délicat décor composé des feuilles de papier kraft superposées et au tapis de fleurs du dernier acte, nous avons été moins convaincus pas le dispositif scénique de l’acte 2 et ses banderoles de lumignons qui rendent les mouvements de foule confus. Par ailleurs le jeu scénique, fouillé, en harmonie avec le texte et la musique, ne souffre pas la critique, que ce soit au niveau des solistes ou à celui du chœur (Chœur de l’Opéra national du Rhin, fort bien préparé et très à l’aise scéniquement, même si pas toujours parfaitement intelligible).
Une particularité de la version proposée ce soir est le retour aux dialogues parlés originels au lieu des récitatifs chantés habituels. Ils s’invitent essentiellement dans les passages comiques (arrivée des Anglais dans le jardin de Nilakantha au premier acte ou scène de marché). Avouons tout de même notre préférence pour les récitatifs chantés qui rompent moins le cours de l’action.
© Klara Beck
Mais que serait Lakmé sans un rôle-titre de haut-vol ? Sabine Devieilhe est sans doute l’une des meilleures interprètes actuelles de la jeune hindoue. On admire dès son entrée la douceur, le timbre diaphane, la légèreté des coloratures. Les difficultés techniques sont parfaitement maitrisées mais surtout, malgré une palette de couleurs relativement modeste, l’interprète transcende la virtuosité pour tracer le portrait bouleversant d’une jeune fille qui découvre simultanément l’amour et la trahison. Son air des clochettes, loin du pur numéro pyrotechnique habituel, est ici une transe qui devient douloureuse. Mais c’est à l’acte III et dans son air ultime « Tu m’as donné le plus doux rêve » que la soprane bouleverse : l’émotion nait d’un simple silence, d’une légère brisure du timbre.
Elle trouve en Julien Behr un amant de belle allure. D’abord, on apprécie comme chez ses partenaires le français d’une parfaite clarté. Certes on pourrait rêver plus de moelleux dans le timbre et davantage de demi teintes. Pourtant la franchise de l’émission et un souci de la ligne de chant en font un Gérald de fort bonne tenue. Mais c’est dans la cantilène, quand la voix s’allège, en particulier au troisième acte, qu’il convainc le plus.
A Strasbourg c’est à Nicolas Courjal qu’échoit le rôle de Nilakantha. Si le chanteur a clairement la carrure du rôle, il semble encore chercher ses marques dans le personnage. On retrouve bien les éclats vengeurs du fanatique, mais pourquoi ces fureurs s’invitent-elles également dans le « Lakmé, ton doux visage se voile » quand on attendrait ici un bref interlude de tendresse paternelle ?
© Klara Beck
Aucune faiblesse n’est à regretter dans le reste de la distribution. Les Hadji et Mallika de Raphaël Brémard et Ambroisine Bré sont charmants, la voix légère de la dernière s’appariant à merveille à celle de Sabine Devieilhe dans le duo « Sous le dôme épais ».
Le baryton clair de Guillaume Andrieu sied parfaitement à Frédéric, et les trois anglaises (Ingrid Perruche – Mistress Bentson, Lauranne Oliva – Miss Rose et Elsa Roux Chamoux – Miss Helen) sont cocasses à souhait. On apprécie notamment la vivacité du beau quintette de l’acte 1, sautillant et plein d’humour.
© Klara Beck
L’honneur en revient également à Guillaume Tourniaire. Aucune distance ou recherche de second degré dans cette direction, qui n’hésite pas à jouer les contrastes dès le prélude, des passages vifs virevoltants au romantisme le plus lyrique. A la tête d’un Orchestre symphonique de Mulhouse en grande forme et aux sonorités chatoyantes (on pense notamment à la grande poésie des cordes graves qui soutiennent le duo Lakmé-Malika à l’acte 1), il rend ainsi parfaitement justice à la partition bigarrée et aux talents de mélodiste de Léo Delibes.