Cent soixante-seize ont pu se présenter sur 297 inscrits… La pandémie, comme partout, a réduit le nombre de candidats au 57e Concours de Besançon, et il était à redouter que le niveau en soit affecté. Les craintes étaient vaines. Des moments de pur bonheur ont été réservés au public, qui manifestait sa gratitude après chaque prestation. Au terme de près de huit heures d’audition, trois des élus ont été retenus pour la finale, qui se déroulera samedi (avec la création de Aux confins de l’orage, de Camille Pépin, et la 5e symphonie de Sibelius). Ils étaient huit à avoir dépassé les deux premiers tours. L’objectif des épreuves était de prendre en compte les aptitudes de chacun à faire travailler les voix – choeur, puis solistes – et l’Orchestre national de Lyon, au travers d’exemples pertinents choisis dans Elias de Mendelssohn, et Don Giovanni, de Mozart.
Pour l’oratorio, deux choeurs ont été réunis : celui de l’Opéra de Dijon, préparé par Anass Ismat, et La Tempête, de Simon-Pierre Bestion forment un ensemble très professionnel de 56 chanteurs. Chacun se prêtera à toutes les exigences des jeunes chefs. C’est le Kursaal, qui a été retenu pour en être le cadre, Don Giovanni étant logé au Théâtre Ledoux, dont la fosse permet les conditions d’une authentique production lyrique.
Les extraits de la grande fresque religieuse ont été opportunément choisis (Paul Daniel, président du jury, en a réalisé un enregistrement) : quatre choeurs monumentaux qui ne seront révélés aux candidats qu’avant leur passage. La variété du traitement choral et de l’orchestre permet à chacun d’aller au bout de ses limites. Car il s’agit d’une répétition dont le travail se mesure à la capacité du chef à réaliser son projet. Cette évidence semble avoir échappé à certains candidats, dont l’objectif n’est ni clair, ni opérationnel : que de temps perdu dans une lecture appliquée, ou dans des explications inopérantes, alors que les minutes s’écoulent inexorablement !
Qu’il s’agisse de l’appropriation de l’œuvre, de la technique de direction, de la capacité à donner des exemples pertinents, chantés en l’occurrence, d’obtenir les réponses attendues des interprètes, de créer un climat studieux et favorable avec chacun, les candidats ont fait preuve d’une grande hétérogénéité. Le jury n’a certainement pas eu de difficulté à distinguer les trois finalistes de leurs concurrents, encore que deux d’entre eux auraient pu accéder au podium, même si leur prestation était moins convaincante. Oublions ce demi-finaliste, plébiscité par une partie du public, extraverti, dynamique, efficace, clone de Teodor Currentzis, ou de Santu-Mattias Rouvali, par la dynamique installée. Il a été justement éliminé, malgré ses qualités : transformer Elias en un spectacle démonstratif, pris tambour battant, oublieux des tempi notés par le compositeur (« allegro moderato ») et de la ferveur comme de l’élégance du propos était rédhibitoire.
Deun Lee, Coréen du Sud, passé par Milan et New York, a une solide expérience lyrique. Après avoir glané plusieurs prix, il dirige le Belloni Opera Festival de Barlassina. Exigeant, connaissant parfaitement les œuvres, il use à propos d’excellents exemples chantés, donne vie à tout ce qu’il dirige, des passages les plus puissants au choral, conduits avec une suprême maîtrise. La direction, sobre, très efficace, est débarrassée de tout geste inutile. Un nom à retenir, quel que soit le verdict final. Le Chinois Jiong-Jie Yin, benjamin de la finale (21 ans), a commencé très jeune et reçu déjà de nombreux prix. Il dirige mains nues, avec une gestique également sobre encore un peu scolaire, mais efficace. Il obtient des modelés superbes. Le travail, est remarquable : la plénitude de Mendelssohn, les équilibres, la clarté sont au rendez-vous. Il en va de même dans l’air de Donna Anna, de Don Giovanni. Enfin, Chloé Dufresne, seule française accédant au podium, et qui le doit exclusivement à ses qualités musicales. Ayant appris le métier en Finlande, son expérience est indéniable. La gestique est souple, expressive. Elle impose une énergie et une dynamique incontestables dans chacune des œuvres. Attachée au texte, à son sens, à son articulation comme à ses couleurs autant que les précédents, attentive à l’orchestre, on l’écoutera encore avec plaisir, lauréate ou pas.
Deux autres candidats, le Japonais Yu Sugimoto et le Chinois Junping Quian, auraient pu accéder à la finale, mais le choix du jury se fonde sur l’expérience de la totalité des épreuves , et nous n’avons pas assisté aux deux tours éléminatoires.
L’excellence des chœurs comme celle de l’orchestre doit être soulignée : après les répétitions (sous la direction des chefs de chœur), adhérer avec la même attention bienveillante à chacune des sollicitations de chefs aussi différents relève de l’exploit. Quant aux solistes, issus de l’Ecole Normale de Musique de Paris (partenaire du Concours), nous n’aurons pas écouté Igor Mostovoi (Don Giovanni), les choix du jury se portant sur des récitatifs, airs et ensembles dont il était absent… Tous ses partenaires participèrent aux ensembles (imposés aux candidats). Les solistes les plus sollicités furent Maria Ibeth Ortiz Barroso, extraordinaire Donna Anna, Masako Hagiwara, Elvira touchante, et Guillaume Beaudoin, excellent Ottavio, autant d’heureuses découvertes. Le régime auquel ils furent soumis, éprouvant, avec une volonté constante, souriante, de satisfaire les intentions des huit chefs, mérite d’être souligné. Le public leur réserva de chaleureuses ovations.
Rendez-vous est pris pour la finale, qui promet, elle aussi, des moments extrordinaires, outre la découverte de l’oeuvre de Camille Pépin.