Qu’il est bon parfois de plonger tout entier dans un drame à la saveur de tragédie antique ! Dans ce Rigoletto rennais, reprise d’une production de Monte-Carlo mis en scène par son directeur, le second degré cède la place au tragique dans une version dépouillée qui ne manque pas d’efficacité.
Une bonne part de la tension dramatique repose sur le formidable duo formé par Marianne Lambert et Victor Torres. Comme souvent chez Verdi, la relation père-fille est centrale et la justesse des deux artistes fait merveille. Chacun des duos entre Rigoletto et Gilda se révèle prenant, d’une intensité émotionnelle profonde. Il n’est pourtant pas si simple de donner une crédibilité réelle à ce bouffon et à sa (trop) pure jeune fille. La soprano canadienne traite ses vocalises avec beaucoup d’élégance, elle n’abuse pas des effets, confiante dans son timbre fruité, dans une ligne vocale tout comme dans un legato remarquables. Sa Gilda privilégie la sincérité, l’émotion ; elle dégage une force singulière, une droiture et une noblesse touchantes. Le baryton argentin, fort d’une belle diction comme d’une excellente accroche vocale, compose quant à lui un personnage tout en nuances, englué dans ses contradictions et victime d’un « fatum » implacable.
Le duc, celui par qui le drame arrive, est l’archétype du libertin – au point que lui est même dénié la possibilité d’avoir un nom. Luciano Botelho l’incarne avec un bel engagement physique mais semble peu à l’aise dans la partition : en dépit d’un timbre superbe, les aigus ont une nette tendance au recul, les registres manquent franchement d’homogénéité.
© Laurent Guizard
Visuellement, dans les lumières superbes de Laurent Castaingt, Jean-Louis Grinda choisit l’épure avec de saisissants effets de contrastes et de métonymie comme lorsque la résidence du Duc – qui a tout d’une maison-close – se dépouille de ses artifices pour n’être plus qu’un lieu désolé où Rigoletto abandonne ses oripeaux de bouffon. Petit bémol, le second entracte pèse sur le rythme de la soirée mais le spectateur patient se trouve récompensé par un décor superbe pour l’acte final : cette cabane transparente sur pilotis où s’achève le drame est une vraie réussite.
Parmi les seconds plans homogènes et de bonne tenue, le Sparafucile d’Anatoli Sivko mérite une mention particulière avec une voix dont le grain profond est singulièrement séduisant, tout comme les puissants contrastes. Dommage que, comme sa sœur en scène – la Maddalena de Laura Brioli – sa voix très large souffre d’intonation parfois approximative. La mezzo italienne dispose de moyens vocaux impressionnants mais fragilisés par un vibrato excessif qui nuit franchement à la justesse. Le Borsa de Vincent Delhoume est impeccable tout comme le Monterone d’Ugo Rabec qui évoque irrésistiblement un moderne commandeur. Le choeur fait montre d’une jolie implication tant scénique que vocale avec des nuances particulièrement séduisantes et efficaces tandis que l’Orchestre de Bretagne s’offre à son meilleur : la phalange bretonne ne manque pas de ressort sous la baguette précise de Sascha Goetzel. Le moelleux des cordes, comme la délicatesse des vents épousent les émotions des protagonistes au plus intime quand les cuivres dramatisent l’atmosphère à souhait… Un souffle romantique idéal pour accompagner les convulsions de cet homme qui rit pour ne pas pleurer.